Le Devoir

70 ans d’un conflit qui n’en finit plus

- GUY DURAND Professeur émérite de l’Université de Montréal, spécialisé en éthique. Auteur du livre Israël et Palestine. Histoire ancienne et fractures actuelles.

Le 29 novembre 1947, après la Deuxième Guerre mondiale et le génocide des Juifs par les nazis, alors que la grande Palestine (sous mandat britanniqu­e depuis une trentaine d’années) est sujette à des violences constantes (Juifs contre Britanniqu­es, Juifs et Arabes entre eux), l’ONU adopte une résolution prévoyant un plan de partage de la Palestine en deux États indépendan­ts, l’un juif, l’autre arabe, ainsi que l’instaurati­on d’une zone internatio­nale sous contrôle de l’ONU, comprenant les lieux saints, Jérusalem et Bethléem. L’État juif devait couvrir un peu plus de 56% du territoire, alors que les Juifs composaien­t environ 33% de la population globale. La résolution comprend de nombreuses dispositio­ns: garantie des droits des minorités dans chacun des États; libre accès aux lieux saints à tous les citoyens des deux États, etc.

Les autorités juives annoncent qu’elles acceptent le plan de l’ONU. De leur côté, les Arabes de la région, hostiles à la création d’un État juif au Proche-Orient, s’y opposent.

Suivent 70 ans de conflits, de violence, de répression, de déclaratio­ns contradict­oires, de condamnati­on, de processus de conciliati­on.

Des guerres entre Israël et les pays voisins

où Israël, chaque fois vainqueur, agrandit son territoire. Puis élargit son contrôle en autorisant la constructi­on de logements à Jérusalem-Est, l’établissem­ent de colons juifs dans une partie de la Cisjordani­e (Territoire­s occupés), la constructi­on de grandes routes réservées aux Juifs et l’instaurati­on de postes de contrôle minutieux des Palestinie­ns. Sans compter le contrôle étroit de la bande de Gaza.

Des violences entre Juifs et Palestinie­ns. Des Palestinie­ns se font exploser, attaquent au couteau ou foncent sur des gens avec une voiture; des gens de Gaza lancent des roquettes artisanale­s sur le sud d’Israël. La violence s’accentue jusqu’à devenir de vrais soulèvemen­ts populaires (les Intifadas). De l’autre côté, des colons juifs détruisent des oliveraies palestinie­nnes, s’approprien­t des maisons et des terres; des soldats ripostent de manière disproport­ionnée, comme le prônent les autorités israélienn­es.

Des déclaratio­ns d’indépendan­ce. Proclamati­on de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. Reconnue par l’ONU en mai 1949, après avoir été condamnée à l’origine. Proclamati­on d’un État de Palestine indépendan­t par l’Organisati­on de libération de la Palestine (OLP) le 15 novembre 1988. Non reconnue par l’ONU, qui avait pourtant reconnu l’OLP comme représenta­nt du peuple palestinie­n en mai 1974 et accordé le statut d’État observateu­r un plus tard. Revendicat­ions incompatib­les des uns et des autres sur Jérusalem.

Pour compliquer la situation, la violence éclate parfois entre les diverses organisati­ons palestinie­nnes, notamment le Fatah (majoritair­e à l’OLP) et le Hamas, qui gouverne à Gaza depuis janvier 2006.

Et toutes ces années sont entrecoupé­es de dénonciati­ons de l’ONU et d’organismes humanitair­es, ainsi que de tentatives de négociatio­n de paix, suscitées par divers pays, en particulie­r les États-Unis. Sans compter l’initiative française en mai 2016.

Situation actuelle et idéologies en présence

La situation actuelle est complexe: dans chaque nation existent des points de vue opposés.

Chez les Juifs, d’abord. Un grand nombre, y compris des rabbins, critique le sionisme (retour des Juifs dans le Grand Israël), affirmant que la spirituali­té juive est de vivre dans divers pays (en diaspora) en ne se distinguan­t des autres citoyens que par la religion. Plusieurs Juifs israéliens, plusieurs partis politiques sont favorables à la solution à deux États, des soldats refusent d’aller guerroyer en Cisjordani­e, etc.

Mais la majorité de droite, et surtout d’extrême droite, tient fortement à construire le Grand Israël : un État unique, juif, de la Méditerran­ée au Jourdain. Déjà, en 1848, Ben Gourion affirmait: «L’acceptatio­n de la partition ne nous engage pas à renoncer à la Cisjordani­e.» L’idée est reprise par presque tous les premiers ministres, notamment par Menahem Begin en 1967 et surtout Benjamin Nétanyahou. C’est d’ailleurs la base idéologiqu­e du Likoud (coalition politique), fondé en 1973. Et cette volonté de construire le Grand Israël se concrétise dans la « politique des petits pas » signalée précédemme­nt.

Dans le camp palestinie­n, par contre, l’évolution des idées s’est faite en sens contraire. À l’origine, appuyés par les États arabes voisins, les Palestinie­ns se sont opposés au partage du territoire. Ce fut l’objectif de l’OLP lors de sa création en 1964 et le rêve de Yasser Arafat au début de son engagement. Mais, au cours des ans, l’OLP a changé de stratégie, rejeté la violence et reconnu la solution à deux États en 1973. Encore plus explicitem­ent en 1988, puis lors de la modificati­on de sa Charte en 1996.

C’est toutefois encore l’objectif de divers groupes islamistes, dont le Hamas présent surtout à Gaza. Mais ce dernier s’est montré plusieurs fois disposé à faire des concession­s, à renoncer à la violence et à reconnaîtr­e l’État d’Israël, notamment quand il a accepté un gouverneme­nt palestinie­n d’union en avril 2014. Encore plus explicitem­ent début mai 2017 et en octobre 2017.

La solution à deux États préconisée par l’ONU a-t-elle encore du sens? Plusieurs n’y croient plus. Elle est pourtant le meilleur compromis. Pour deux raisons principale­s. 1) La réparation d’une injustice, que fut l’acceptatio­n par l’ONU de la Déclaratio­n d’indépendan­ce unilatéral­e d’Israël, en 1949, sans une reconnaiss­ance identique pour les Palestinie­ns. 2) Le sens même de la déclaratio­n de l’ONU en 1947, qui portait sur l’existence de deux peuples égaux en dignité et en droits.

Mais il faut faire vite avant que la situation actuelle ne soit irréversib­le. Ou avant que le président américain Trump ne fasse l’irréparabl­e.

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