Johnny Hallyday, l’icône de l’Hexagone vue d’outre-mer
La France entière est en deuil de sa plus grande icône rock. Or les réactions au décès de Johnny Hallyday des deux côtés de l’Atlantique frappent par leur décalage: comment expliquer l’adulation de «l’idole des jeunes» en France et le relatif pouvoir d’attraction de celle-ci chez nous? Réactions et témoignages.
Robert Charlebois a bien connu Johnny, personnellement d’abord, mais aussi dans ce qu’il représentait pour les Français. Il lui prédit des funérailles «à la Victor Hugo», rien de moins. «On ne réalise pas ici combien, sur un plan sociétal, son impact fut immense», estime celui qui l’a souvent visité, reçu et avec qui il a « pris des coups et fumé des pétards ».
« Quand j’avais 12 ou 13 ans, en 1956 ou 1957, on a eu la révolution rock avec Elvis, Chuck Berry, Little Richard, explique-t-il. En France, le rock est arrivé plus tard, alors que ça faisait déjà cinq ou six ans que j’en jouais dans mon garage avec Jean-Guy Moreau! Quand Johnny est arrivé, c’était presque du rétro pour nous.»
Car après tout, nous sommes des francophones d’Amérique, souligne Monique Giroux : « On n’avait pas besoin de lui pour rêver d’Amérique, on est dedans! Le rock, on l’a dans le sang, et son beat dans l’oreille, depuis le début», précise l’animatrice d’ICI Musique. «Ce qu’il leur a apporté, nous, on l’avait déjà. Et ce qu’il a donné à la jeunesse, comme lui née pendant la guerre, c’est le droit de rêver en couleur, avec une guitare électrique, en dérangeant les parents et Charles de Gaule. »
L’impact initial, c’est une chose. Or c’est sur la durée que le mythe s’est construit. Plus d’un demi-siècle de carrière, 110 millions d’albums écoulés dans la francophonie, «c’est énorme, abonde Monique Giroux. Il survivait presque au nom de la France: il est là fort comme un roc, donc la France survivra. C’est ça qui les ébranle tous aujourd’hui, du dernier des communistes jusqu’à Sarkozy.» Tous aussi reconnaissent qu’il fut une redoutable bête de scène dotée «de la voix la plus puissante de toute la chanson pop francophone», affirme Robert Charlebois, qui sera bientôt décoré en France de l’ordre honorifique de Commandeur des Arts et des Lettres.
Sa première rencontre avec Hallyday remonte à l’été 1968. Il venait de remporter le Grand Prix du Festival de la chanson française à Spa, en Belgique. On l’invitait ensuite à Monaco pour jouer avant Johnny. «Je pratiquais Lindbergh et California, puis Johnny s’était arrêté devant ma loge. Pas de clin d’oeil ni de poignée de main, juste un petit signe de tête, après quoi je l’avais regardé s’engouffrer dans sa Ferrari argentée… Le charisme! Et la foule qui suivait, les photographes, ça m’avait impressionné. »
«C’était un personnage immense», confirme Louis Bellavance, directeur de la programmation du Festival d’été de Québec, où Johnny Hallyday a donné un concert sur la grande scène des Plaines en 2012. «Indépendamment de sa popularité ici, travailler avec lui, c’était travailler avec une légende comme Jagger ou McCartney, avec l’attitude, le décorum, qu’on pouvait prendre avec un sourire parce que c’était démesuré.» Un personnage discret aussi, qu’il avait croisé quelques années plus tard… au festival Coachella, en Californie! «C’était un habitué de Coachella, il s’y rendait dans une relative intimité, personne ne le connaissait. J’y étais avec Patrick Bruel, qui lui exultait de voir les concerts; Johnny restait dans sa bulle, mais écoutait chaque note.»
«À cause de sa carrière, de son répertoire, de son aura, Johnny Hallyday sera toujours pour moi un immortel», évoque le guitariste Réjean Lachance, qui a fait partie de l’orchestre de tournée de la star de 2002 à 2007, une expérience qui lui a procuré de grandes émotions: «J’ai joué avec beaucoup de stars en France. Des Zéniths, j’en ai fait… Mais avec Johnny, on faisait la tournée des stades. Ça, c’est spécial.»
Il garde le souvenir d’un musicien réservé, sans être distant. « Il ne fallait pas essayer d’entrer dans sa bulle, c’est lui qui venait à nous. Il m’appelait: “Hé Réjean, viens ici!” et m’offrait un cadeau, une bague, un bracelet… Il était très généreux. Souvent, il nous disait: “Allez, je vous invite tous au resto après le spectacle.” Avec moi, il essayait d’imiter l’accent québécois et de sacrer — il avait quand même un bon sens de l’humour. »
Selon Louis Bellavance, « il aurait mérité plus de reconnaissance ici, mais il a mal travaillé le marché. S’il était venu nous voir plus souvent, comme l’ont fait Bruel, Cabrel et Aznavour, il aurait eu plus d’impact. Il a été absent trop longtemps — un peu malgré lui, pour lui en avoir parlé. Il aurait voulu être plus présent chez nous, et je suis certain que c’est un de ses regrets. »