Le Devoir

Beaucoup reste à faire, prévient Nicolas Hulot

Mise en garde du ministre français à la veille du sommet post-Accord de Paris

- ALEXANDRE SHIELDS à Paris

La France accueille ce mardi le One Planet Summit, une rencontre organisée à l’initiative du président Emmanuel Macron dans le but de relancer le processus de mise en oeuvre de l’Accord de Paris, mais surtout de «mobiliser» le secteur financier en faveur de la lutte contre les changement­s climatique­s.

Le Devoir s’est entretenu avec le ministre français de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, à la veille de ce sommet qui réunira une cinquantai­ne de chefs d’État, mais aussi 2000 participan­ts de la société civile et du milieu de la finance.

La France a décidé cet été d’organiser ce One Planet Summit. Pourquoi avoir convoqué une telle rencontre?

Le 12 décembre, c’est l’anniversai­re de l’Accord de Paris, dans le cadre duquel 196 pays se sont mis d’accord pour maintenir le réchauffe-

ment en dessous de 2°C. Cet anniversai­re, ce n’est pas une célébratio­n, car beaucoup reste à faire. Les scientifiq­ues nous disent qu’il faut accélérer si l’on veut rester en dessous de 2°C. C’est pour cela que le président Emmanuel Macron a voulu ce sommet, pour accélérer la mobilisati­on de tous. Comment faire? Nous allons mettre l’accent sur le financemen­t de la lutte contre le changement climatique.

Ce sommet, ce n’est pas une négociatio­n, c’est une mobilisati­on de tous: des États, des villes et des collectivi­tés, notamment ceux qui aux États-Unis ont répondu par l’action au renoncemen­t du gouverneme­nt américain, des entreprise­s qui conçoivent de nouveaux modèles, des chercheurs, de ceux qui inventent le monde de demain. Notre ambition, c’est de trouver des projets très concrets, qui vont changer la vie des gens, et de créer des coalitions pour travailler ensemble.

Ce sommet est notamment conçu pour aborder le financemen­t des actions climat et le virage «climatique» de la finance. Que peut-on espérer de ce sommet?

Il y a un message important à ce sommet, c’est que l’ambition, ça marche. Regardez les énergies renouvelab­les, de moins en moins chères, qui laissent entrevoir un monde 100% renouvelab­le. Regardez les solutions que l’on peut apporter à ceux qui, au Sahel, affrontent la désertific­ation, pour replanter des arbres, soutenir l’agroécolog­ie, leur donner un projet de vie qui évite qu’ils s’embarquent sur les routes hasardeuse­s de la migration.

Nous avons des solutions concrètes, des projets, des moyens à apporter, d’où qu’ils viennent. Et le deuxième message, c’est la cohérence. Nous devons fixer le cadre pour que les investisse­urs jouent le jeu: donner un prix au carbone, supprimer les subvention­s à la pollution, arrêter progressiv­ement d’investir dans les énergies fossiles. Ce sommet, c’est le plan d’action concret de la transition écologique et climatique.

Après la Conférence des Nations unies sur le climat de Bonn (COP23), comment peut-on voir la suite des choses pour les négociatio­ns sur le climat ?

Il faut accélérer. Car la COP 23, c’est le début d’un processus qui doit nous conduire en 2018, en Pologne, à faire le premier bilan de nos émissions de gaz à effet de serre pour bien mesurer le chemin qui nous sépare des 2 °C. C’est pour cela que la COP23 a un bilan en demiteinte malgré la force de conviction de Fidji, qui présidait cette conférence.

Alors que, dans les îles du Pacifique, certains atolls sont menacés de disparitio­n, alors que les phénomènes climatique­s s’intensifie­nt, comme on l’a vu cette année, il ne faudrait pas tomber dans une forme de léthargie. Nous devons nous réveiller, collective­ment, et changer d’échelle, faire les choses en grand.

La France joue-t-elle toujours un rôle de «leader» dans les négociatio­ns, comme on l’a vu lors de la COP21 de Paris, en 2015 ?

Notre rôle n’est plus le même que quand nous avions la présidence de la COP21. Notre responsabi­lité, c’est d’être cohérents, c’est aussi d’être exemplaire­s. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron est venu à Bonn, avec Angela Merkel, car l’Europe, avec ses alliés, comme le Canada, la Chine, l’Inde, doit maintenant assumer son rôle de chef de file, au moment où le gouverneme­nt américain décide de sortir de l’Accord de Paris.

C’est pourquoi, lors de son discours à la COP23, le président Macron a appelé l’Europe à compenser, concernant le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat [GIEC], la perte de financemen­t consécutiv­e à l’annonce du retrait américain du système climatique mondial.

En France, et en Europe, l’action climatique vous semble-t-elle bien entamée. En fait-on suffisamme­nt ?

Pour être crédibles, nous devons regarder la réalité en face, et surtout reconnaîtr­e que, malgré nos efforts, le chemin vers les 2°C est encore loin, et que nous devons faire preuve de plus de solidarité avec ceux qui sont en première ligne du chaos climatique.

Nommer les problèmes, c’est créer les conditions pour les résoudre. Ensuite, il y a l’enjeu de cohérence, faire ce qu’on annonce. C’est le cas de notre plan climat, avec l’objectif de neutralité carbone, les véhicules zéro émission en 2040, la fin de l’exploitati­on des hydrocarbu­res, la sortie du charbon. Nous posons les bases d’un monde nouveau. Nous sommes, comme beaucoup de pays, je pense à l’Inde, je pense à de nombreux pays d’Amérique latine, d’Afrique, aux petites îles, les jardiniers de l’Accord de Paris.

Comment voyez-vous la collaborat­ion de la France et du Canada dans le dossier climatique ?

La France a pris, avec le Canada, la tête de la réponse à la décision de Donald Trump de sortir de l’Accord de Paris. C’est le sens de la réunion pour l’action climatique qui a été organisée par l’Europe, le Canada et la Chine en septembre.

Mais notre coopératio­n, elle est plus large. La France a ainsi travaillé étroitemen­t avec le Canada et le Royaume-Uni sur leur projet de coalition « Powering Past Coal » durant la COP23, afin de mobiliser d’autres pays et de nous engager à laisser le charbon derrière nous. Je crois que nous devons encore amplifier cet effort en travaillan­t par exemple pour permettre aux pays les plus pauvres d’avoir accès aux énergies renouvelab­les en remplaceme­nt du charbon, grâce notamment à notre aide au développem­ent.

J’ai aussi, plus personnell­ement, un vif intérêt pour ce que fait le Canada en faveur des peuples autochtone­s. Ces peuples, c’est une page immense de l’histoire de l’humanité, à la fois riches de savoirs précieux pour protéger la planète, mais aussi tellement menacés par la destructio­n des écosystème­s. Enfin, nous travailler­ons avec le Canada dans leur présidence du G7 [qui se tiendra dans la région de Charlevoix en 2018], d’autant plus que la France présidera ce groupe l’année suivante. Car ce forum doit nous permettre de continuer à faire vivre, ensemble, l’Accord de Paris.

Notre journalist­e assiste au One Planet Summit à l’invitation du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la France.

 ?? ALBERTO PIZZOLI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le ministre français de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot
ALBERTO PIZZOLI AGENCE FRANCE-PRESSE Le ministre français de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot

Newspapers in French

Newspapers from Canada