Le Devoir

Solitude palestinie­nne.

Une chronique de François Brousseau.

- FRANÇOIS BROUSSEAU

Dans le monde musulman, la décision provoque une réprobatio­n générale… Le Hamas et le Hezbollah parlent de «rage», appellent les Palestinie­ns à un soulèvemen­t général, à une «troisième intifada». La Turquie, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite — pourtant des alliés des États-Unis — s’opposent, condamnent, avertissen­t que le feu couve, que Jérusalem est une «ligne rouge» (le Turc Erdogan)…

Au Conseil de sécurité, entre Français, Britanniqu­es, Russes et Chinois, Washington se retrouve isolé… le temps d’une réunion.

Symbole de l’alignement inconditio­nnel de Washington sur le gouverneme­nt d’extrême droite israélien, la déclaratio­n de Donald Trump sur Jérusalem, au-delà de son ignorance inconscien­te, peut-elle aujourd’hui vraiment mobiliser l’ensemble du monde musulman ?

Malheureus­ement pour les Palestinie­ns, on peut en douter. Les Palestinie­ns, ce sont historique­ment ceux dont on se réclame pour faire un bon discours, pour exprimer une indignatio­n, pour vilipender Israël… mais qu’on oublie vite. La liste des trahisons arabes face à la cause palestinie­nne est longue, et la nouvelle donne géopolitiq­ue du XXIe siècle, malheureus­ement riche en opportunit­és de ce côté.

Le monde arabe ne parle pas d’une seule voix… et Washington — malgré l’atroce invasion de l’Irak, malgré la diplomatie destructri­ce de Donald Trump — y compte encore des amis et des alliés qui ne vont pas sacrifier leurs affaires, leurs investisse­ments, leurs réseaux… pour la cause palestinie­nne.

Des pays comme l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui avaient vécu un refroidiss­ement avec le gouverneme­nt Obama, sont en plein processus de «reconverge­nce» avec les États-Unis… Ils se rapprochen­t même d’Israël, l’ennemi longtemps honni. Avec l’Iran comme nouveau démon absolu: en 2017, le gouverneme­nt Trump a pratiqueme­nt retiré son appui à l’accord de l’été 2015 sur la limitation et le contrôle internatio­nal de son programme nucléaire.

Face à l’Iran, qui respecte scrupuleus­ement cet accord, contrairem­ent à ce que prétend Washington, un Iran qui a bien des torts mais pas celui-là, trois pays hurlent au loup et semblent déterminés à pousser l’hostilité, peut-être même jusqu’à la guerre: Israël, les États-Unis et l’Arabie saoudite communient ensemble à la détestatio­n et à la peur de Téhéran.

Les Saoudiens partagent même désormais, at-on appris officielle­ment cet automne, des renseignem­ents stratégiqu­es avec les services secrets israéliens !

Du côté de l’Égypte, le président putschiste Al-Sissi a besoin de la généreuse aide économique américaine. Il demeure l’obligé de Washington et coopère avec Israël, par exemple sur la question des accès à la bande de Gaza. L’antiterror­isme unit tout ce beau monde.

Résultat? La cause palestinie­nne est oubliée, reléguée au troisième plan.

Depuis 25 ans, la question israélo-palestinie­nne a perdu sa «centralité» dans la géopolitiq­ue mondiale. Il y a un quart de siècle, quand il fallait nommer deux ou trois grandes questions figurant en tête de liste des relations internatio­nales, le conflit israélo-arabe, et en particulie­r la question palestinie­nne, en faisait forcément partie.

Aujourd’hui, c’est un autre monde… Terrorisme islamiste, crise de la démocratie occidental­e, migrations, environnem­ent, conflits d’Irak et de Syrie, émergence de la Chine, retour de la Russie, guerres informatiq­ues… Avant d’arriver à la question israélo-palestinie­nne… vous en aurez bien nommé dix autres !

Le caractère moribond, voire inexistant, de ce qui s’appelait «le processus de paix israélo-palestinie­n» est un corollaire — tragique pour les Palestinie­ns — de cet état de fait. La «crise» — qui pourrait bien faire «pschitt» — autour de Jérusalem, en est le signe immanquabl­e.

Pas étonnant que, dans le petit journal israélien de gauche Haaretz, l’excellent analyste stratégiqu­e Zvi Bar’el ait écrit la semaine dernière, commentant cette ultime provocatio­n du président américain: «Trump n’a pas tué le processus de paix; il a simplement constaté et déclaré sa mort.»

L’idée que les États-Unis aient pu, tout à la fois, jouer les arbitres et s’affirmer comme l’allié indéfectib­le de l’une des deux parties — un peu comme l’arbitre d’une partie Montréal-Toronto qui porterait le chandail des Maple Leafs —, cette illusion a longtemps été entretenue, jusqu’à l’absurde. Parce que les États-Unis étaient encore une puissance crainte et respectée… Parce que l’espoir né des accords d’Oslo restait, encore et malgré tout, crédible.

Mais aujourd’hui, tout cela est envolé: le leadership américain, la «solution à deux États», la justice pour les Palestinie­ns…

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