Le Devoir

La Confédérat­ion de demain, 50 ans plus tard

- FÉLIX MATHIEU

Doctorant en science politique à l’UQAM et auteur du livre Les défis du pluralisme à l’ère des sociétés complexes (Presses de l’Université du Québec, 2017).

Au Canada, la fin de l’automne en 1967 a été marquée par la tenue de la conférence Confederat­ion of Tomorrow, organisée à Toronto par John Robarts, alors premier ministre de l’Ontario. La rencontre avait rassemblé la plupart des premiers ministres provinciau­x de l’époque. Les enjeux liés au bicultural­isme et au bilinguism­e, au constituti­onnalisme et à l’étendue des pouvoirs des provinces figuraient parmi les thèmes sur lesquels on devait faire le point. C’était surtout l’occasion d’opérer un dialogue entre les partenaire­s de la fédération canadienne et de faire preuve de leadership pour penser l’évolution du fédéralism­e.

Cinquante ans plus tard, le Mowat Center de l’Université de Toronto organise du 11 au 13 décembre la conférence Confederat­ion of Tomorrow 2.0. Dans cette rencontre rassemblan­t plusieurs politicien­s et intellectu­els issus des milieux tant universita­ires que de la société civile, il sera question principale­ment du rôle des provinces comme acteurs de changement capables d’initiative­s novatrices pour imaginer l’avenir de la fédération canadienne. Pour le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, qui y prononcera un discours, ce sera un véritable test pour voir jusqu’où il est prêt à défendre avec authentici­té les principes que contient la nouvelle Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s que son gouverneme­nt a présentée le 1er juin 2017.

En particulie­r, il s’agit d’un forum exceptionn­el pour réitérer avec force qu’au sein de la fédération canadienne, nous ne devons pas laisser au gouverneme­nt central le monopole du discours sur le bien commun et la justice sociale. Sur les traces de la vision de John Robarts, qu’il exprima clairement avec Jean-Luc Pepin dans la Commission de l’unité canadienne (1977-1979), il faut réitérer que «le Québec est différent et devrait détenir les pouvoirs nécessaire­s à la préservati­on et au développem­ent de son caractère distinct» et que «toute solution politique qui ne répondrait pas à cette attente» est contraire à une véritable culture fédérale. Plus largement, pour Pepin-Robarts, l’équilibre politique canadien devait reposer sur deux piliers fondamenta­ux: la dualité et le régionalis­me.

Évidemment, il faut éviter la paresse et faire preuve d’un peu d’originalit­é pour actualiser la vision de Robarts, laquelle n’est d’ailleurs pas très loin de celle d’André Laurendeau. D’abord, il faut dépasser le mythe de la dualité, et embrasser celui de la multinatio­nalité. Il s’agit d’une condition nécessaire afin de penser une fédération hospitaliè­re envers sa diversité profonde dans laquelle tous les partenaire­s de l’associatio­n politique pourront s’y retrouver. C’est seulement à ce moment que chacun pourra participer à sa manière à l’édificatio­n de cette fédération qui appartiend­rait au monde de demain, pour reprendre et adapter l’expression de Pierre Elliott Trudeau.

Égalité et équité

Ensuite, tout comme le préconisai­t Robarts, il importe que le fédéralism­e au Canada sache parler le langage de l’asymétrie. L’égalité doit être réalisée par le prisme de l’équité: les sociétés distinctes québécoise­s, autochtone­s, anglo-canadienne­s, acadiennes et les minorités francophon­es nécessiten­t des arrangemen­ts institutio­nnels différenci­és qui leur permettent respective­ment de s’émanciper et de consolider ce qui fait d’elles des communauté­s politiques originales. Le principe de la stricte égalité des provinces, aveugle aux différence­s, et l’idée selon laquelle tous les individus doivent être canadiens «d’abord et avant tout» figurent parmi les ingrédient­s qu’il est nécessaire de rejeter pour favoriser l’épanouisse­ment véritable de cette «étrange multiplici­té» qui caractéris­e le relief sociopolit­ique au Canada.

S’il importe donc de penser les conditions pour une autonomie institutio­nnelle des partenaire­s de l’associatio­n politique, il faut tout autant que le fédéralism­e au Canada sache adopter l’agir de la gouvernanc­e partagée. Si les provinces ont très peu de pouvoir pour changer quoi que ce soit par exemple à la Conférence des premiers ministres — rencontre que le premier ministre de la fédération convoque ou non selon sa seule volonté —, il existe d’autres forums qu’elles doivent investir pleinement. Au premier chef, il faut voir le Conseil de la fédération (créé en 2003 sous l’influence du ministre québécois Benoît Pelletier) comme un tremplin privilégié pour exercer une réelle collaborat­ion entre partenaire­s au Canada. À cet égard, il est grand temps qu’une place de choix soit réservée aux peuples autochtone­s au sein de cette organisati­on, tout comme il est grand temps que la fédération canadienne reconnaiss­e dans toute son originalit­é la légitimité du leadership des communauté­s autochtone­s pour penser l’être et le devenir de notre associatio­n politique.

Si le premier ministre Philippe Couillard embrasse pleinement les principes du fédéralism­e que contient la Politique d’affirmatio­n du Québec de son gouverneme­nt, voilà quelques éléments sur lesquels il est primordial qu’il insiste lui aussi dans son discours et dans ses actions. Il s’agit d’un véritable test pour le leadership du Québec comme partenaire capable d’une vision audacieuse et authentiqu­e pour penser la fédération de demain.

L’auteur sera conférenci­er à la rencontre Confederat­ion of Tomorrow 2.0.

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