Une victoire « fragile » contre le groupe EI
Les défis sont de taille pour ce pays rongé par les conflits, selon des experts
Le premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a annoncé samedi l’avoir emporté sur le groupe armé État islamique (EI), mais cette victoire militaire reste fragile tant que les causes ayant favorisé l’essor des djihadistes n’auront pas été extirpées, selon des experts.
La bataille fut longue et d’une extrême violence contre le groupe djihadiste sunnite, qui avait pris le contrôle en 2014 de larges pans du territoire et constituait une menace existentielle pour l’Irak.
Mais les succès militaires ne suffisent pas.
«Tout reste à faire pour assécher le terreau sur lequel le groupe EI a pu prospérer. Les djihadistes ont été privés d’oxygène et défaits militairement, mais le ventre duquel ils ont surgi demeure fécond», estime Karim Bitar, expert de la région à l’Institut des affaires internationales et stratégiques de Paris (IRIS).
Pour lui, «il s’agira d’abord de consolider le pouvoir des autorités centrales tout en menant des politiques inclusives qui ne marginaliseraient aucune communauté» dans le pays à majorité chiite.
«Il faudra ensuite s’attaquer à la reconstruction, aux problèmes économiques et sociaux, endiguer la corruption et assurer une répartition équitable de la rente pétrolière, sans oublier bien sûr les négociations avec le gouvernement régional du Kurdistan », a-t-il ajouté.
Il s’agit de questions vitales pour l’Irak, qui n’a connu que des conflits depuis près de 40 ans.
Cellules djihadistes
«La solution au problème de l’EI n’est pas que militaire », estime pour sa part Mohammad Ould Mohamedou, expert de l’Irak et professeur à l’Institut des Hautes études internationales à Genève. Même si, dit-il, l’armée pourrait faire face à une longue guérilla.
Si les djihadistes ont été chassés de la quasi-totalité du pays, ils se sont repliés dans le désert et possèdent des cellules dans des villes, comme l’ont démontré de récents attentats meurtriers.
«À cela s’ajoute le travail de reconstruction qui est, en l’espèce, tout aussi social qu’en matière d’infrastructures», estime M. Ould Mohamedou.
Pour Karim Bitar « tant qu’un sentiment d’amertume ou d’humiliation perdurera chez certains sunnites, le risque d’une nouvelle métamorphose ou résurrection de la mouvance djihadiste n’est pas à écarter».
Il relève en outre le facteur aggravant que constituent « les guerres par procuration à l’échelle régionale ».
Ainsi, «les rapports de force politiques sont aujourd’hui entièrement faussés par les appartenances communautaires et par l’affrontement iranosaoudien».
En Irak, «les modérés ont été marginalisés depuis longtemps et les voix les plus radicales ont tenu le haut du pavé», signale cet expert.
Il souligne d’autre part que « le système mis en place par les Américains après 2003 est venu approfondir les lignes de faille ».
Aux sunnites, qui ont occupé le pouvoir depuis les Ottomans et l’ont gardé après l’indépendance en 1932, ont succédé les chiites à la suite de l’invasion américaine de 2003. Les premiers ont été écartés de tous les postes de premier plan.
«Les Iraniens et la communauté chiite irakienne demeurent en position de force, avec un contrôle des principaux rouages de l’État », note M. Bitar.
«Tout reste à faire pour assécher le terreau sur lequel le groupe EI a pu prospérer
Karim Bitar, expert de l’Irak à l’Institut des affaires internationales et stratégiques de Paris