Le Devoir

Lucas Debargue, pianiste singulier

- CHRISTOPHE HUSS

RÉCITAL LUCAS DEBARGUE Scarlatti: Sonates K. 534, 491, 253, 531. Chopin : Barcarolle op. 60. Scherzo n° 2. Fauré Barcarolle n° 1 et n° 4. Ravel: Gaspard de la nuit. Maison symphoniqu­e de Montréal, samedi 9 décembre 2017.

Les nouveaux artistes sont si nombreux que l’on se demande comment ils peuvent se démarquer. Le seul fait de s’adresser, désormais, à un auditoire qui a, à portée d’oreille, la panoplie complète de tout ce qui s’est enregistré depuis un siècle est pour le moins intimidant. Alors certains (ou certaines) font usage de tenues affriolant­es, d’autres multiplien­t les effets, alors que beaucoup semblent invoquer les cieux en quête d’inspiratio­n mystique.

Lucas Debargue s’est démarqué lors du Concours Tchaïkovsk­i en 2015. Il s’est, depuis, imposé sur la scène musicale internatio­nale. Samedi, Montréal a pu comprendre pourquoi. Premier enseigneme­nt: le public a vraiment cherché à comprendre. Point de sanatorium, samedi, tant la Maison symphoniqu­e semblait suspendue au discours du pianiste.

Plutôt que de détailler les vertus interpréta­tives de la Barcarolle de Chopin par rapport à la Sonate en ré majeur, K. 491, de Scarlatti, il me semble intéressan­t de tenter de cerner ce qui fait la singularit­é du jeu et de la musicalité de Lucas Debargue. Et cela apparaît d’emblée: Debargue fait un usage très généreux de la pédale et fonde son art sur la rémanence et le tuilage des sons.

Le philosophe des sons

L’art de Lucas Debargue est une vraie philosophi­e sonore avant d’être un art pianistiqu­e. Le pianiste vise un tel continuum qu’on se prend à lire autrement sa réflexion parue dans Le Devoir du 14 novembre dernier lorsque, du concert, il fustigeait «cet horrible entracte avec petits fours et coupes de champagne». Dans les faits, l’entracte mondain est incompatib­le avec son art et ses visées, car il brise ce continuum.

C’est pour cela, aussi et surtout, que son désormais légendaire Gaspard de la Nuit est phénoménal. Pas tant pour les déchaîneme­nts de Scarbo, mais pour les atmosphère­s blafardes du Gibet et, surtout, les fantomatiq­ues enchevêtre­ments des deux dernières minutes de l’oeuvre. Car la suprême qualité de Lucas Debargue est que la recherche de l’imbricatio­n sonore ne noie pas la musique et ne brouille pas les lignes, y compris dans Chopin.

Il y avait des pianistes, assez nombreux, dans la salle, dont Dang Thai Son, Charles Richard-Hamelin et Xiaoyu Liu. Ils mettraient d’autres mots, plus techniques, sur cet art-là. Ce dont je peux témoigner, c’est que Lucas Debargue n’est pas une tocade ou un phénomène de mode. C’est un chercheur de musique et de sons, un esprit singulier (qui a fini en mode jazz, en rappel), une vraie apparition dans un univers classique qui en a bien besoin.

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FELIX BROEDE SONY MUSIC L’art du Français Lucas Debargue est une vraie philosophi­e sonore avant d’être un art pianistiqu­e.

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