Salmigondis galactique.
Star Wars, épisode VIII. Les derniers Jedi souffre d’une construction épisodique dénuée d’un arc dramatique fort
Star Wars, épisode VIII. Les derniers Jedi souffre d’une construction épisodique dénuée d’un arc dramatique fort. La critique de François Lévesque.
STAR WARS, ÉPISODE VIII. LES DERNIERS JEDI (V.F. STAR WARS, EPISODE VIII: DE THE LAST JEDI) ★★ Science-fiction de Rian Johnson. Avec Daisy Ridley, John Boyega, Adam Driver, Mark Hamil, Jason Isaac, Carrie Fisher, Kelly Marie Tran, Laura Dern. États-Unis, 2017, 151 minutes.
Dans une galaxie lointaine, très lointaine… On connaît par coeur — et depuis longtemps — l’introduction à chaque nouveau film de la saga Star Wars. Nouveau film qui, d’une fois à l’autre, s’essaie au périlleux exercice dichotomique de surprendre tout en s’inscrivant dans une rigoureuse continuité. Pour le créateur de la trilogie originale et de la «prélogie» subséquente, George Lucas, cela consista à miser sur des jeux de correspondances et de symétries narratives. La nouvelle trilogie, désormais sous l’égide du studio Disney, a semblé vouloir maintenir cette approche avec Star Wars, épisode VII. Le réveil de la Force.
Or, après des décennies d’une dramaturgie horlogère, cela, pour le meilleur et parfois le pire, voici que Star Wars, épisode VIII. Les derniers Jedi accuse plutôt un spectaculaire dérèglement interne.
Les derniers Jedi (The Last Jedi) reprend là où Le réveil de la Force (The Force Awakens) a laissé, soit une trentaine d’années après les événements du Retour du Jedi (Return of the Jedi). Dernier espoir pour la liberté dans la galaxie, la Résistance menée par la générale Leia Organa (Carrie Fisher) est assiégée par le Premier Ordre. Pendant ce temps, le pilote intrépide Poe (Oscar Isaac), le héros récalcitrant Finn (John Boyega) et la mécanicienne Rose (Kelly Marie Tran), un nouveau personnage, lancent une mission secrète visant à déjouer le Premier Ordre.
Cela, à l’insu de la Résistance.
Au même moment, Rey (Daisy Ridley) tente de convaincre Luke Skywalker (Mark Hamill) de renoncer à l’exil qu’il s’est imposé afin de la former aux us et coutumes jedi. Depuis son vaisseau amiral, le vil Kylo Ren continue de nourrir des desseins destructeurs.
Un épisode faible
Second volet de la troisième trilogie Star Wars, donc, Les
derniers Jedi est l’un des plus faibles de la saga. Sur le plan de la construction, on est davantage dans le télévisuel que dans le cinématographique. En guise de scénario, on a mis bout à bout des histoires de 30 à 40 minutes, où chaque segment a sa petite montée et son petit apogée sur le principe de la série télé, format que l’on se plaît désormais tant à consommer d’une seule traite.
La transposition du modèle des petits au grand écran est certainement possible, mais dans le cas présent, cela se traduit par un film dénué d’arc dramatique global fort. Si bien que, lorsqu’elle sur vient, l’apothéose finale n’a guère d’impact, d’autant que le film comporte au bas mot trois dénouements successifs.
L’action des trois sous-intrigues concurrentes, vouées à n’en former qu’une, ne convainc par ailleurs pas toujours. De fait, même en tenant compte de la logique interne de Star Wars, plusieurs passages apparaissent franchement invraisemblables. Quant aux traits d’humour caractéristiques de la saga, le ton n’y est pas.
Élusif renouveau
Difficile de jeter l’entièreté du blâme sur Rian Johnson, ici scénariste et réalisateur, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’un film conçu sous la supervision de la directrice de Lucasfilm, Kathleen Kennedy, pour Disney. Comme on le sait, cette dernière a déjà viré de ce lucratif univers en expansion quatre réalisateurs qui ne voyaient pas les choses du même oeil qu’elle.
En somme, Rian Johnson s’est inspiré des épisodes précédents autant qu’il leur a rendu hommage, comme J.J. Abrams avant lui avec Le réveil de la Force. Et comme George Lucas avant eux puisque c’est là la manière Star Wars depuis la «prélogie»: entre renouveau, pour surprendre, et recyclage, pour la rigoureuse continuité. Si Johnson maîtrise le recyclage, le renouveau lui échappe. Qui plus est, son sens de l’image s’avère très inégal. Seules quelques idées s’impriment dans la mémoire, comme cette mer de cristaux de sel rouge qui s’anime après que les violences d’une bataille eurent soulevé la fine pellicule de neige qui la recouvrait.
De façon générale toutefois, Johnson, auteur du film Looper, un drame de science-fiction intéressant élaboré à une échelle beaucoup plus modeste, peine à remplir ce vaste canevas de superproduction.
Une touche de grâce
Les derniers Jedi est en outre surpeuplé de personnages secondaires sousécrits — qu’est-ce que Laura Dern est allée faire là, en perruque mauve par-dessus le marché? Et que dire de toutes ces variétés inédites de créatures «mignonnes» trop manifestement destinées aux différentes lignes de produits dérivés (imaginez les Ewoks du Retour du Jedi, puis multipliez selon votre niveau de cynisme) ?
Perdus dans ce salmigondis qui tient lieu de récit, quelques moments parviennent presque à capturer la magie d’antan. À cet égard, et les nostalgiques s’en réjouiront, la regrettée Carrie Fisher apporte à l’ensemble une touche de grâce ô combien salutaire.
À terme, si Les derniers Jedi échoue de la sorte à son jeu dichotomique, c’est d’abord faute d’avoir su respecter ses propres règles.