Suspense électoral en Alabama
Malgré la controverse, le candidat républicain Roy Moore semblait en route vers le Sénat
Une course serrée, dans un État américain qui retenait toute l’attention politique à une rare occasion. L’élection sénatoriale en Alabama concentrait des enjeux importants pour le Congrès et pour la présidence de Trump.
Le suspense n’était toujours pas résolu, au moment d’écrire ces lignes, deux heures après la fermeture des bureaux de scrutin. Le candidat républicain Roy Moore semblait toutefois dégager une légère avance.
La voix dorée vers l’élection du candidat du parti présidentiel semblait assurée dans cet État qui n’a porté à Washington aucun sénateur démocrate depuis 1990. Mais ce chemin tracé d’avance a vacillé pour M. Moore, ancien juge ultraconservateur visé par des allégations d’agressions sexuelles sur des mineures.
«Le pays nous regarde», a-til déclaré devant son bureau de vote, dans la commune rurale de Gallant. Il y est arrivé sur son cheval (prénommé Sassy) avec son épouse, Kayla.
«Moore s’est rendu au bureau de vote sur le mythe américain», après «avoir passé toute la campagne en complet», écrivait Robin Givhan dans le Washington Post, décrivant finement comment cette mise en scène théâtrale faisant appel à la psyché américaine profonde.
Selon les sondages de sortie des urnes, 45% des électeurs de mardi considéraient tout de même ces allégations comme «fausses». «Même avant ces allégations, c’était évident que cet homme était un candidat “faible”», affirme Rafael Jacob, chercheur à la Chaire RaoulDandurand. Il rappelle que M. Moore a laissé entendre que la Constitution américaine aurait pu se passer de tous les amendements après le 10e, ce qui inclut ceux concernant l’abolition de l’esclavage et les droits civiques des Afro-Américains.
Les opposants à M. Moore ont d’ailleurs retrouvé des vidéos où on le voit faire l’apologie de l’ère esclavagiste des États-Unis, «la dernière fois où l’Amérique a été grande». Sa ferveur religieuse lui a fait d’autre part attribuer les attentats du 11-Septembre et la crise économique à des «fléaux divins», survenus pour punir une nation «moralement déviante ».
Cette foi bornée l’a aussi poussé à adopter des positions ultraconservatrices, notamment en matière d’avortement et d’homosexualité.
Le candidat démocrate Doug Jones était idéologiquement à l’autre extrême du spectre politique. Il restait à voir « s’il y a assez d’électeurs républicains modérés qui seront prêts à se pincer le nez», analysait M. Jacob. Jones n’était pas «tellement fait sur mesure» par rapport à d’autres candidats qui auraient pu être plus près du spectre conservateur des républicains, ajoute-t-il.
Pas de vrai gagnant
Les trois millions d’électeurs étaient donc appelés à trancher mardi. Toute la journée, les observateurs ont cherché à savoir si la parole des femmes réussirait à faire basculer l’Alabama. Le président affichait quant à lui un soutien indéfectible à son candidat, malgré les allégations. Tôt mardi matin, le président américain a invité sur Twitter les électeurs de l’Alabama à faire «le bon choix».
La candidature du juge Moore a créé un casse-tête inextricable pour le parti au pouvoir. «Qu’il gagne ou qu’il perde, les républicains ont un problème. C’est une situation où tout le monde perd [«loselose »]» estime quant à lui le spécialiste de politique américaine Rafael Jacob.
Le caucus du Parti républicain prévoyait déjà de se réunir mercredi matin pour décider de la marche à suivre à son arrivée à Washington. Certains leaders du parti avaient affirmé durant la campagne qu’il devrait faire face à une enquête sur l’éthique à la suite des allégations de harcèlement sexuel.
La marque républicaine risquerait d’être salie par association
alors que les ÉtatsUnis sont en plein examen de conscience sur le harcèlement sexuel et le respect de la parole des victimes. Plusieurs se demandent comment ils pourront se défendre des attaques qui seront inévitables lors des élections de mi-mandat l’an prochain. «Moore et Trump serviront à présenter les républicains comme le parti de l’inconduite, des prédateurs ou carrément des pédophiles dans le cas de Moore. Il sera une espèce de boulet accroché autour d’eux», conclut M. Jacob.