Le Devoir

Morneau jette du lest

Le ministre des Finances annonce des correctifs à sa réforme fiscale

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le ministre fédéral des Finances poursuit son entreprise de rajustemen­t de sa réforme fiscale.

Bill Morneau a annoncé hier des correctifs aux mesures s’appliquant au saupoudrag­e fiscal de manière à ce que moins de contribuab­les que prévu soient pris dans les filets du fisc. Mais il demeurera plus difficile qu’avant pour les profession­nels incorporés, comme les médecins ou les avocats, de réduire leur facture d’impôt en refilant une partie de leurs revenus à un membre de leur famille.

Le ministre était sous pression depuis quelques jours pour dévoiler les changement­s qu’il avait en tête puisque ceuxci s’appliquero­nt dès 2018 et que l’année 2017 tire à sa fin.

M. Morneau a dévoilé sa réforme cet été, mais il avait promis de la modifier en fonction des critiques entendues.

Les ajustement­s à l’imposition des revenus d’intérêts sur les investisse­ments passifs ont été annoncés plus tôt cet automne, mais on attendait encore ceux portant sur le saupoudrag­e salarial. C’est maintenant chose faite.

Caractère raisonnabl­e

Le saupoudrag­e salarial permet à un profession­nel s’étant constitué en société privée de distribuer entre plusieurs membres majeurs de sa famille le salaire qu’il empocherai­t autrement à lui tout seul. Le revenu étant inférieur pour chaque personne, la facture fiscale totale s’en trouve réduite.

Ottawa ne le permettra plus, sauf si le contribuab­le peut prouver le caractère « raisonnabl­e » des revenus imputés à un autre membre de la famille.

Le changement dévoilé mercredi fait en sorte que, dans trois cas précis, le caractère raisonnabl­e du revenu sera présumé d’emblée. Du coup, on estime que 5000 petites sociétés privées ne seront plus touchées par la réforme Morneau. Premièreme­nt, un membre de la famille travaillan­t 20 heures ou plus par semaine dans la société ne sera plus visé.

De même, une personne ayant cumulé dans sa vie cinq années où elle a travaillé au moins 20 heures par semaine dans la société sera pour toujours réputée admissible d’emblée au saupoudrag­e.

Deuxièmeme­nt, les conjoints des entreprene­urs de plus de 65 ans ne seront pas touchés. Il s’agit, explique Ottawa, d’harmoniser la situation avec les retraités qui peuvent déjà fractionne­r leur revenu de pension sans avoir à prouver quoi que ce soit au fisc.

Enfin, le saupoudrag­e sera aussi jugé raisonnabl­e d’emblée si le membre de la famille a fourni au moins 10% du capital de la société.

Seules exceptions : les sociétés de profession­nels (médecins, psychologu­es, avocats, etc.) et celles dont 90% des revenus proviennen­t de services rendus. La logique étant que, dans ces cas, le capital de démarrage de la société est à peu près nul. La contributi­on du membre de la famille est donc théorique et ne justifie pas à elle seule rétributio­n.

Au départ, Ottawa pensait que sa réforme affecterai­t moins de 3% des sociétés privées, soit 50 000 d’entre elles, et générerait 250 millions de dollars par année.

En rétrécissa­nt un peu son champ d’applicatio­n, elle en touchera maintenant 45 000 et générera plutôt 190 millions.

Modificati­ons dénoncées

Le Parti conservate­ur et le Nouveau Parti démocratiq­ue ont dénoncé les changement­s au motif qu’ils ont été rendus publics trop tard.

«Il [le ministre] a présenté un enchevêtre­ment de règles compliquée­s qui obligeront les entreprise­s à se creuser les méninges pendant la période des Fêtes et au-delà», a déclaré le conservate­ur Pierre Poilièvre.

«Ça crée une situation d’urgence et de crise qui est complèteme­nt artificiel­le», a renchéri le néodémocra­te Alexandre Boulerice, qui invite Ottawa à reporter sa réforme. «C’est juste une question de respect pour les entreprise­s familiales.»

M. Poilièvre prédit que la réforme sera tellement compliquée à appliquer que ses revenus anticipés seront engouffrés «en frais comptables et juridiques ».

La Fédération canadienne des entreprise­s indépendan­tes a dénoncé par communiqué de presse cette annonce de dernière minute et réclame un report de sa mise en oeuvre au 1er janvier 2019.

Le ministre Bill Morneau est resté sourd à cette demande. «Nous pensons que c’est assez de temps. »

Bill Morneau avait promis de modifier sa réforme en fonction des critiques entendues

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 ?? SEAN KILKPATRIC­K LA PRESSE CANADIENNE ?? Le ministre Bill Morneau a rencontré la presse mercredi pour expliquer les correctifs proposés à sa réforme.
SEAN KILKPATRIC­K LA PRESSE CANADIENNE Le ministre Bill Morneau a rencontré la presse mercredi pour expliquer les correctifs proposés à sa réforme.

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