Des ratios flexibles en garderie
Une nouvelle méthode de calcul du nombre d’enfants par éducatrice minerait la qualité des services
Pour répondre aux nouvelles exigences du ministère, de plus en plus de centres de la petite enfance (CPE) sont contraints d’augmenter le nombre d’enfants dans les groupes audelà des ratios qui prévalaient jusqu’ici. Cette façon de faire est décriée par les éducatrices et les gestionnaires eux-mêmes, qui sont pris entre leurs nouvelles obligations comptables et leur volonté d’offrir des services de qualité aux enfants.
Le règlement sur les services éducatifs prévoit des ratios d’éducateurs par groupe d’enfants en fonction de leur âge. Ainsi, il faut un éducateur pour cinq enfants chez les poupons, un pour huit dans la tranche d’âge de 18 mois à 4 ans, et un pour dix pour les 4 ans et plus.
Jusqu’à tout récemment, ce ratio était appliqué dans chaque groupe. Mais avec les compressions et la révision du mode de financement, une nouvelle pratique s’est développée dans plusieurs milieux de garde. «C’est ce qu’on appelle le ratio global ou le ratio bâtisse, explique Louise Labrie, représentante du secteur des centres de la petite enfance à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). C’est une tolérance que le ministère a développée pour regarder uniquement le ratio d’éducatrices et d’enfants sur l’ensemble du bâtiment plutôt que dans chacun des groupes. »
Annie (nom fictif) s’est justement retrouvée avec neuf enfants plutôt que huit dans son groupe pour compenser une place non comblée dans le groupe des poupons. «À l’échelle de la bâtisse, c’est légal, mais ce que ça apporte comme problème, c’est qu’on est limité dans nos actions. Je ne peux pas sortir avec mon groupe, parce que je suis seule avec neuf enfants, ce qui n’est pas légal. Donc il faut se déplacer toute la bâtisse ensemble pour respecter
les ratios. Ça enlève un peu de spontanéité. Et ça fait que mon groupe va pas mal moins souvent au parc ou à l’heure du conte. C’est dommage pour les tout-petits. Ils ne s’en ressentent pas vraiment, parce qu’ils ne savent pas trop ce qu’ils manquent, mais nous, on est un peu triste de ne plus pouvoir leur offrir tout ça.»
Surinscription
Cette pratique permet aux gestionnaires d’optimiser chaque place, de faire davantage de groupes multi-âges et, surtout, de placer les enfants qui ont été inscrits en extra. Car c’est là une autre pratique courante depuis que le gouvernement oblige les CPE à avoir un taux de présence de 80%. Pour atteindre ce chiffre magique et ne pas voir leurs subventions coupées, plusieurs CPE vont faire de la surinscription. Ainsi, un CPE qui a un permis pour 80 places va inscrire 83 enfants, misant sur le fait qu’il va toujours y avoir quelques absents.
«Avec la contrainte du taux de présence de 80%, ça amène un plus grand défi pour assurer les ratios et c’est en réponse à cette préoccupation qu’on a vu [apparaître] le fameux concept de ratio bâtisse versus ce qu’on était habitué à voir avec le ratio par groupe, explique Geneviève Bélisle, directrice générale de l’Association québécoise des CPE (AQCPE). C’est là qu’on voit les limites de ce nouveau modèle de gestion. »
Pour compliquer encore les choses, les gestionnaires de CPE sont également contraints par le ministère à faire un contrôle quotidien plus serré des salaires des éducatrices en fonction du nombre d’enfants présents et de couper des demi-heures ici et là, en début et en fin de journée, diminuant du coup le nombre d’éducatrices disponibles à certaines périodes.
«On comprend que [le gouvernement] veut vraiment optimiser chacune des heures du service qui est disponible et, d’un point de vue idéologique, ça peut être très bien, mais d’un point de vue pratique, ça peut être un défi», ajoute-t-elle.
Déchirement
La directrice générale souligne que les dirigeants des CPE qu’elle représente vivent ces changements comme «un déchirement». L’association elle-même est prise entre son obligation d’accompagner ses membres afin qu’ils respectent la loi et sa volonté d’offrir aux enfants le meilleur environnement possible. «On a toujours défendu qu’il fallait avoir les ratios les plus bas parce que c’est un indicateur de qualité très important», répète Mme Bélisle.
Un comité, au sein de l’association, se penche actuellement sur cette question et viendra faire des recommandations au gouvernement pour «trouver des solutions qui respectent à la fois les critères de qualité, les besoins des parents et des enfants tout en respectant la loi ».
1500 griefs
La nouvelle façon de calculer le ratio entraîne une surcharge de travail pour les éducatrices et une baisse de qualité des services offerts aux enfants, estime Louise Labrie, de la FSSS-CSN. « Quand tu as neuf enfants plutôt que huit, ça a un impact, les enfants sont plus tassés dans le local et ils n’ont pas toute l’attention qu’ils devraient avoir parce que l’éducatrice n’a pas autant de temps à consacrer à chacun. »
Selon elle, la pratique a explosé depuis les deux dernières années. «Ceux qui ne le font pas sont quasiment devenus plus marginaux que ceux qui le font», affirme-t-elle.
Le syndicat a déposé plus de 1500 griefs à ce sujet, et les premiers devraient être entendus en arbitrage prochainement. «Le ministère nous a dit qu’il souhaitait qu’on se parle avant les arbitrages, affirme Louise Labrie. Ça les inquiète beaucoup parce que ce sont les employeurs qui demandent au ministère de leur donner du lousse pour qu’ils puissent rentrer dans leurs finances. Mais le règlement, ce n’est pas ce qu’il dit. On souhaite que le ministère fasse appliquer le règlement tel quel. »
Au ministère de la Famille, on affirme au contraire que le règlement permet de compter le nombre d’enfants et d’éducateurs à l’échelle de la bâtisse. «L’obligation que le titulaire de permis a, par rapport au nombre d’enfants présents, c’est dans l’installation et non pas dans chacun des locaux», répond le porte-parole Alexandre Noël. Il ajoute que c’est à chaque gestionnaire de «choisir comment il va former ses groupes et faire sa gestion pour respecter les exigences en matière de sécurité». Sur la question des griefs, il affirme que «c’est à l’employeur de gérer ces choses-là ».