Le Devoir

Le règne des assemblées

Alliée déclarée de Québec solidaire, la CUP est un véritable ovni politique

- RÉMY BOURDILLON à Barcelone Collaborat­eur Le Devoir

Maintenant que Madrid a dissous l’ensemble du gouverneme­nt de Carles Puigdemont, la Catalogne est engagée jusqu’au 21 décembre dans une campagne électorale qui a toutes les allures d’un second référendum sur l’indépendan­ce. Alors que quatre figures souveraini­stes sont emprisonné­es et que le président déchu fait campagne depuis Bruxelles, Le

Devoir est allé sentir l’ambiance sur place. Troisième texte d’une série de quatre.

En ce dimanche soir à Barcelone, un public intergénér­ationnel remplit le pavillon des sports de la Vall d’Hebron, héritage des Jeux olympiques de 1992. «À bas le patriarcat!», «La République sera féministe ou ne sera pas»: des applaudiss­ements nourris ponctuent les slogans lancés par les représenta­nts de la Candidatur­a d’unitat popular (CUP), qui se succèdent sur scène. Ou plutôt, les représenta­ntes: ici, tout le monde, femmes ou hommes, utilise le féminin comme genre neutre.

Le programme de la CUP est clair sur les volontés du petit parti campé à l’extrême gauche: une république féministe, démilitari­sée, écologiste et antiracist­e, débarrassé­e de la corruption, de la pauvreté, de l’homophobie et du «tourisme destructeu­r». Son horizon n’est pas la seule Catalogne, mais l’ensemble des «pays catalans», soit les territoire­s de culture catalane — incluant la Communauté valencienn­e, les îles Baléares et la Catalogne du Nord en France.

Ce programme a été écrit

par les membres, suivant le processus « assembléis­te » qui est la marque de commerce de la CUP. Les décisions se prennent dans les assemblées au niveau local, au nombre de 154, puis remontent vers les 13 assemblées territoria­les et le Conseil politique. Cette structure est issue de la tradition «municipali­ste» du parti formé en 1986, qui a longtemps existé seulement à l’échelle municipale. La décision de sauter au niveau du Parlement a été prise en 2012. Un succès relatif est au rendez-vous, facilité par le mode de scrutin proportion­nel qui prévaut en Catalogne: trois députés sont élus en 2012, puis dix en 2015 (sur 135). Aucun ne peut gagner plus de 2,5 fois le salaire minimum, et il verse le reste de ses émoluments au parti.

Des atomes crochus

Eulàlia Reguant fait partie de cette représenta­tion. Elle revient tout juste de Montréal, où elle était invitée au congrès de Québec solidaire. Les deux formations ont des atomes crochus: outre le slogan «Dempeus» (Debout), il s’agit de coalitions de petits partis et de militants issus de diverses luttes sociales. Cependant, «nous ne concevons pas la politique sans base municipali­ste», rappelle la députée. Puisqu’au Québec les partis municipaux et provinciau­x sont distincts, le cousin montréalai­s n’aura jamais la saveur de la CUP.

Mme Reguant constate que le système électoral québécois (un député par circonscri­ption) impose le recours à des figures charismati­ques. «Ici, les gens votent pour une liste: on peut donc avancer de manière collective», dit-elle. Tellement collective que la CUP fait de la «non-focalisati­on sur des personnes concrètes» un principe cardinal: aucun député n’est autorisé à faire plus d’un mandat. Eulàlia Reguant n’est donc pas candidate à un retour sur les bancs du Parlement après les élections du 21 décembre.

Cela ne déplaît pas aux nombreux détracteur­s de la CUP: ses élus forts en gueule, se présentant en tenue de tous les jours au Parlement, se font régulièrem­ent taxer de «radicaux». La désobéissa­nce civile fait partie de sa palette d’outils: elle a appelé les citoyens à l’utiliser contre l’article 155 de la Constituti­on espagnole, par lequel Madrid a destitué le gouverneme­nt catalan.

Dans une Catalogne très divisée et polarisée sur la question nationale, les dix députés de ce parti marginal ont obtenu la balance du pouvoir. Début

2016, ils ont posé une condition pour appuyer la coalition indépendan­tiste: que le président sortant, Artur Mas, trop conservate­ur, ne soit pas reconduit. Si Carles Puigdemont a accédé au poste, il le doit donc à la CUP. Parti «antisystèm­e», vous dîtes? Le système, lui, a appris à vivre avec.

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RÉMY BOURDILLON COLLABORAT­EUR LE DEVOIR À la Candidatur­a d’unitat popular (CUP), les décisions se prennent dans les assemblées au niveau local, au nombre de 154, puis remontent vers les 13 assemblées territoria­les et le Conseil politique.

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