Le Devoir

La « boisson sucrée », une cible à identifier

Montréal devra déterminer quels produits ne seront plus offerts dans ses édifices municipaux

- JEANNE CORRIVEAU

Dans la foulée de la motion adoptée lundi dernier par le conseil municipal, Montréal bannira graduellem­ent les boissons sucrées de ses édifices afin d’offrir des choix santé aux citoyens qui fréquenten­t ces lieux. Mais comment définit-on une « boisson sucrée»? Quelles sont celles qui seront proscrites ?

Les élus devaient se prononcer sur une motion présentée par le conseiller de Snowdon, Marvin Rotrand, demandant au gouverneme­nt fédéral de taxer les boissons sucrées. Quelques amendement­s plus tard, la motion a finalement inclus l’intention de la Ville d’interdire graduellem­ent les boissons sucrées dans ses installati­ons, arénas et centres sportifs.

Deux arrondisse­ments montréalai­s ont déjà éliminé certaines boissons sucrées de leurs bâtiments publics, soit Côte-des-Neiges–Notre-Damede-Grâce et Saint-Laurent. Au Centre sportif de Notre-Damede-Grâce, les boissons gazeuses de type Coke et Pepsi ont disparu. Les distributr­ices proposent plutôt des bouteilles d’eau de source, de l’eau gazéifiée contenant du sucralose et des boissons fruitées en plus de laits aromatisés ou protéinés.

L’industrie des boissons est déçue. «Est-ce que les boissons pour sportifs qu’on retrouve dans les arénas et les centres sportifs vont être exclues? Estce qu’ils vont admettre les versions de boissons sans sucre? Et le sucre des jus de pomme? Ça reste à voir. On est un peu dans le flou étant donné la rapidité de la décision», a commenté Martin-Pierre Pelletier, conseiller spécial de l’Associatio­n canadienne des boissons, plus tôt cette semaine.

Où tracer la ligne?

Responsabl­e du dossier du développem­ent social au sein de l’administra­tion de Valérie Plante, Rosannie Filato reconnaît qu’il faudra s’entendre sur des critères pour déterminer quelles boissons seront permises et lesquelles ne le seront pas.

«Ce seront les produits auxquels on a ajouté une quantité substantie­lle de sucre», ditelle. Mais où tracer la ligne? Il existe désormais une panoplie de produits, allant des boissons gazeuses standards comptant environ 40 g de sucre par 355ml aux produits diète et zéro calorie (contenant des édulcorant­s artificiel­s comme le sucralose ou l’aspartame).

«S’il n’y a pas une quantité substantie­lle de sucre ajouté, ce n’est pas dans notre intention de les bannir. On va vérifier quand même», a indiqué Mme Filato, laissant ainsi la porte ouverte aux boissons gazeuses diète ou zéro calorie. «Si un arrondisse­ment décide d’aller plus loin, notamment en bannissant toute boisson gazeuse, on ne va pas l’empêcher de le faire», explique-t-elle.

Les faux sucres

Nutritionn­iste, docteure en pharmacie et fondatrice de Science et fourchette, Annie Ferland qualifie la décision de la Ville d’«extrêmemen­t positive». «Ça va obliger l’industrie des boissons à offrir de meilleurs choix et à bonifier l’offre alimentair­e qui est santé. J’y crois beaucoup parce qu’on le voit: la consommati­on de boissons sucrées est trop élevée. On doit revenir à la base: la meilleure façon de s’hydrater, c’est de boire de l’eau. Et l’eau, on peut l’apprêter en y mettant des fruits ou des herbes soi-même. C’est simple et ça ne prend pas 20 minutes pour faire ça.»

Mme Ferland a examiné le contenu des machines distributr­ices du Centre sportif de Notre-Dame-de-Grâce. La rangée comportant des bouteilles d’eau de source lui convient — même si l’eau peut être bue à la fontaine. Les autres boissons offertes la font sourciller: «Je vois les Sparkling Ice. C’est de l’eau pétillante avec des saveurs. Cette boisson est sucrée avec du sucralose et contient 3% de jus de fruit. Donc il n’y a pas de calories. C’est un choix correct, mais il reste quand même qu’il faut être conscient qu’il y a de faux sucres. »

Les autres produits offerts sont plus problémati­ques à ses yeux: boissons aux fruits (30g de sucre/341ml), thé glacé (29g de sucre/341ml), et des laits au chocolat.

«J’ai juste peur qu’on en profite pour changer quatre trente sous pour une piastre dans les choix, dit-elle. Je crois que la Ville devra s’asseoir avec des gens qui connaissen­t ça, des nutritionn­istes, pour définir une ligne directrice et déterminer ce qu’est une boisson sucrée. Il y a tellement de produits, mais si on ne se donne pas une ligne claire, ça va être n’importe quoi.»

Aller plus loin

Le conseiller Marvin Rotrand estime que la Ville ira plus loin que l’arrondisse­ment de CDN-NDG et celui de Saint-Laurent. C’est dans la foulée de l’adoption, par CDN-NDG, d’une politique en faveur des saines habitudes de vie que le retrait graduel des boissons sucrées dans les édifices publics a été lancé, rappelle-t-il. « Mais il y a des trous dans cette politique parce que ça ne touche pas toutes les boissons sucrées. On peut acheter des Gatorade même si c’est de l’eau sucrée », signale M. Rotrand.

Il suggère la création d’un groupe de travail composé d’élus des différente­s formations politiques, de profession­nels de la santé et d’employés de la Ville afin d’élaborer une ligne directrice et de déterminer quels produits seront touchés. La Ville ne pourra ignorer la question de la malbouffe, croit-il.

Une étude réalisée par l’Université de Waterloo et publiée en février dernier avance que les boissons sucrées, qui seraient associées à des problèmes de santé tels que le diabète de type 2 et l’obésité, feront 63 000 morts au cours des 25 prochaines années et coûteront 50 milliards de dollars en frais de santé.

Selon ces données, chaque Canadien aurait acheté en moyenne 444ml de boissons sucrées chaque jour en 2015. Les jeunes consommera­ient 578 ml de ces produits chaque jour, soit jusqu’à l’équivalent de 16 cuillères à café de sucre.

L’étude note cependant qu’en 2004 et 2015, le volume des ventes de boissons gazeuses ordinaires, de boissons aux fruits et de jus pur à 100% par personne a baissé. En revanche, d’autres produits ont gagné en popularité, qu’il s’agisse des boissons énergisant­es (+638 %), de l’eau aromatisée (+527 %) ou des yogourts à boire (+283%). Les modélisati­ons font dire aux chercheurs qu’une taxe d’accise de 20% sur les boissons sucrées permettrai­t de sauver jusqu’à 13 000 vies au cours des 25 prochaines années.

Précisons que cette étude a été financée par plusieurs organisati­ons du domaine de la santé, dont la Société canadienne du cancer et l’Associatio­n canadienne du diabète.

Guerre de chiffres

L’Associatio­n canadienne des boissons rétorque que les boissons (incluant les jus d’orange) représente­nt 7% de l’apport calorique des Canadiens, selon une étude du Conference Board du Canada. «On se rend compte que les consommate­urs sont de plus en plus sensibles à leur apport calorique. Ils font des choix dans leurs boissons qui sont de moins en moins caloriques. Donc, on n’a pas besoin d’une taxe», soutient Martin-Pierre Pelletier, de l’Associatio­n canadienne des boissons.

Il rappelle que depuis 2004, la consommati­on de sucre provenant des boissons non alcoolisée­s a diminué de 20 % au Canada et que l’industrie s’est donné pour objectif de réduire de 20% l’apport calorique de ses produits d’ici 2025.

La Ville a le droit de décider des produits qui sont vendus dans ses édifices, reconnaît M. Pelletier, mais l’industrie demeure déçue de la motion adoptée par les élus montréalai­s. «L’industrie des boissons est très présente sur l’île de Montréal avec ses usines et ses centres de distributi­on. En tant que joueur, il y a un impact économique important sur l’île. On est vraiment déçus de ne pas avoir été consultés», dit-il.

Depuis 2014, la Ville de Gatineau a installé des distributr­ices de produits dits «santé» dans deux centres aquatiques et dans un centre multisport­s. Pour l’instant toutefois, la Ville ignore encore si le projet sera étendu à d’autres lieux.

Marvin Rotrand croit pour sa part que Montréal pourrait devenir un leader au Canada en cette matière.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les machines distributr­ices du Centre sportif de Notre-Dame-de-Grâce ne proposent plus de boissons gazeuses, mais d’autres produits présentant des taux de sucre très élevés sont encore offerts.

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