Le Devoir

Une ambiguïté périlleuse

- JULIEN TOURREILLE

En niant la question de la colonisati­on, Donald Trump enterre la solution à deux États

La reconnaiss­ance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël a sans surprise suscité un abondant flot de critiques. Les partenaire­s arabes des ÉtatsUnis ont manifesté leurs craintes que cette décision ne déstabilis­e davantage le Moyen-Orient. Les dirigeants palestinie­ns ont clamé qu’ils ne reconnaiss­aient plus comme neutre la partie américaine dans le processus de négociatio­n avec I’État hébreu. Les alliés européens, notamment la France, ont qualifié l’annonce du président américain de «regrettabl­e». Cette déclaratio­n souffre cependant de deux écueils: son ambiguïté est intenable et, en ne s’attaquant pas d’emblée à la question fondamenta­le de la colonisati­on, Trump enterre la possibilit­é d’une solution à deux États.

En rompant avec une tradition diplomatiq­ue américaine vieille de 70 ans, le président Trump semble vouloir remplir deux objectifs. D’une part, il met un terme à l’hypocrisie qui ne bernait plus personne depuis longtemps: Jérusalem-Ouest est de facto la capitale d’Israël. D’autre part, en rompant avec «les stratégies du passé qui ont échoué» ainsi qu’avec le «manque de courage» de ses prédécesse­urs, Trump espère relancer un processus de paix moribond et s’ouvrir la voie au « deal du siècle», puisqu’il prétend pouvoir régler le conflit israélo-palestinie­n. L’espoir, dit-on, fait vivre, et soyons magnanimes en étant touchés par la naïveté de l’hôte de la Maison-Blanche dans ce dossier.

Une position intenable

Le problème fondamenta­l n’est pas tant qu’il surestime probableme­nt ses talents de négociateu­r, ni même qu’il veuille un jour déménager l’ambassade américaine à Jérusalem. En faisant preuve d’une sophistica­tion et d’une subtilité qui ne lui sont tellement pas coutumière­s qu’elles sont largement passées inaperçues, il a adopté une position si équivoque qu’elle est concrèteme­nt impossible à mettre en oeuvre et par conséquent intenable pour la diplomatie américaine.

Dans le propos et la proclamati­on qu’il a signée le 6 décembre, Donald Trump a en effet souligné que les limites de la souveraine­té israélienn­e sur Jérusalem devaient être négociées entre Israéliens et Palestinie­ns et que les États-Unis ne prenaient pas position sur cette question. Or, en ne faisant pas la distinctio­n entre Jérusalem-Ouest, sur laquelle les revendicat­ions israélienn­es sont largement acceptées, et Jérusalem-Est, qui est l’objet de contentieu­x depuis son annexion en 1967, Trump a créé une incertitud­e potentiell­ement explosive.

Les Israéliens les plus radicaux peuvent l’interpréte­r comme un blanc-seing américain à leur volonté d’imposer la souveraine­té de l’État hébreu sur la totalité de la ville. En ne faisant pas référence aux revendicat­ions des Palestinie­ns sur Jérusalem-Est, il ne fait que renforcer leur scepticism­e quant à la neutralité des États-Unis dans la négociatio­n et leur pessimisme à en faire la capitale d’un éventuel État palestinie­n.

Cette ambiguïté complique également la position américaine de façon significat­ive. D’une part, la prise de position de Trump peut-être interprété­e et présentée comme une preuve de l’alliance indéfectib­le entre les États-Unis et Israël au détriment des musulmans. L’État islamique s’y est d’ailleurs déjà essayé dans l’espoir de remobilise­r ses partisans. La sécurité des deux alliés s’en trouvera alors menacée. D’autre part, toute tentative de clarificat­ion, comme celle du départemen­t d’État qui maintient sa position de ne pas nommer Jérusalem comme partie d’Israël dans sa documentat­ion officielle, ne manquera pas de susciter l’ire des militants de la Jérusalem «une et indivisibl­e ».

Un oubli fatal

Avant même de dévoiler le plan de paix sur lequel son gouverneme­nt travaille depuis des mois, le président Trump s’est donc déjà mis à dos l’ensemble des acteurs concernés. Une position qui apparaît quelque peu éloignée des canons de «l’art du deal ». Plus grave, en s’exprimant précipitam­ment sur la question de Jérusalem, Trump n’ouvre certaineme­nt pas un nouveau chapitre des négociatio­ns israélo-palestinie­nnes. Il incite en fait les parties à ne pas rouvrir un livre dont la fin apparaît de plus en plus inévitable et éloignée des espoirs qui avaient germé avec le processus d’Oslo.

Démobilisé­s, divisés, démoralisé­s, les Palestinie­ns n’ont guère plus de raison de croire à la perspectiv­e d’une solution à deux États. Le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a d’ailleurs clairement fermé cette possibilit­é en affirmant il y a quelques semaines à peine que la vallée du Jourdain demeurera toujours une partie d’Israël et que la colonisati­on s’y poursuivra. Au-delà de la symbolique de Jérusalem, le véritable échec de la diplomatie américaine depuis 1993 a en fait été son incapacité à contrecarr­er l’accapareme­nt systématiq­ue par Israël des territoire­s palestinie­ns en Cisjordani­e. Trump aurait pu rompre avec cette hypocrisie et cette disgrâce. Il a préféré ici s’inscrire dans la lignée de ses prédécesse­urs, Obama y compris.

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