NOËL AU-DELÀ DES RITOURNELLES
Si faire un disque de Noël semble un passage obligé pour à peu près tout le monde — y compris Bob Dylan —, faire un bon disque de Noël paraît passablement plus rare. Et pourtant : quantité d’albums méritent (vraiment) l’écoute. Des exemples ? En voilà cin
Comme début d’album, c’était une bombe: trois «Christmas» en harmonie a cappella suivi chaque fois de deux accords de piano, et voilà Elvis qui déballe un blues imparable sur un roulement de batterie: «Well it’s Christmas time pretty baby / And the snow is falling on the ground». Le ton est donné, et le reste suit au même pas. Paru en 1957 — au plus fort de la folie Presley —, ce disque est impeccable de bout en bout: arrangements efficaces, répertoire équilibré entre ballades et chansons uptempo, touches R & B typiquement Presley, avec accents gospel et glaçage rock. Mais surtout, un remarquable tour de chant de la part d’un artiste qui avait 22 ans à l’époque (et que l’armée allait appeler dans ses rangs quelques jours après la sortie du disque). Tout est là : la voix exquise de celle que plusieurs considèrent comme la plus grande chanteuse jazz de l’histoire (et qui était au sommet de sa carrière); son incomparable maîtrise du swing; des arrangements plutôt discrets en apparence, mais partout brillants; le soutien musical relevé de l’orchestre de Frank Devol, appui souple à Fitzgerald ; un répertoire de classiques servis avec le juste équilibre entre légèreté de surface et profondeur dans les détails. De l’intro enjouée de Jingle Bells à la douceur de The Christmas Song, ce disque a placé bien haut la barre en matière de traitement jazz des airs de Noël en 1960 — plusieurs s’y sont d’ailleurs cogné les dents. Le magazine Rolling Stone a déjà classé cet album au premier rang des 40 incontournables de Noël. Assurément le projet le plus audacieux — et stimulant — de cette liste. Entre 2001 et 2006, l’auteur-compositeur-interprète Sufjan Stevens a lancé cinq mini-albums de Noël cumulant 42 chansons. Il a poursuivi avec cinq autres disques rassemblés en 2012 sous le titre Silver & Gold (58 morceaux). Quelque cinq heures de musique pour une odyssée fascinante menée par un surdoué de l’indie pop. C’est à la fois hétéroclite et cohérent, lo-fi et soigné, minimaliste et joliment arrangé (avec quelques choix étonnants). Le résultat détonne franchement avec le classicisme qui enrobe la plupart des disques consacrés à Noël. On ne dira pas que les 100 chansons se valent, ou que tout est ici génial: mais la sensibilité de Stevens et sa vision artistique unique ont mené à un corpus fascinant. Dorénavant réédité sous le titre The Christmas Song, cet album de 1960 du chanteur et pianiste Nat King Cole profite d’un traitement royal rappelant l’importance qu’avait Cole dans le paysage musical américain : tout est déployé avec ampleur, voire un certain faste, pour servir l’exceptionnel talent de cet autre géant du jazz. Cette voix-là… l’élocution au plus près de la perfection, la chaleur du ton, le voile dans le grain, la fluidité du phrasé. Cole arrive à créer avec chaque chanson un cadre intime malgré la présence d’un large orchestre et d’un choeur généreux. C’est un album classique dans tous les sens du terme : le répertoire choisi, la manière de l’aborder, sa pérennité aussi. Somptueux ? Tout à fait. On aurait pu recommander la trame sonore Charlie
Brown Christmas composée par le pianiste Vince Guaraldi en 1965 — le classique des classiques du genre, petit bijou de délicatesse et d’imagerie hivernale —, mais tout le monde connaît, non ? Dans la même tonalité — trio jazz doucereux avec un swing relevé —, le Noël en harmonie des Québécois Michel Donato (contrebasse), Richard Provençal (batterie) et Pierre Leduc (piano) paru en 2004 est tout aussi alléchant que le chef-d’oeuvre de Guaraldi. Jazz acoustique bien rond dans le son, belle richesse harmonique et mélodique dans un cadre épuré, textures variées, c’est à la fois intime et chaleureux. Les trois musiciens ont ajouté un volume 2 en 2014.