Le Devoir

Benjamin Godard, nouvelle révélation vénitienne

Le Palazzetto Bru Zane poursuit son exploratio­n de la musique française avec Dante

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

Les exploratio­ns du répertoire musical français romantique par la Fondation du Palazzetto Bru Zane de Venise se poursuiven­t à un rythme soutenu. Parmi les révélation­s de l’année 2017, Le Devoir a choisi l’opéra Dante, composé en 1890 par Benjamin Godard.

Le bar yton québécois Jean-François Lapointe fait partie, aux côtés de la mezzo Rachel Frenkel et des deux têtes d’affiche Véronique Gens en Béatrice et Edgaras Montvidas dans le rôle du poète, du quatuor de solistes majeurs de ce Dante de Benjamin Godard, enregistré au Prinzregen­tentheater due Munich en janvier 2016.

La très haute tenue musicale est assurée par l’équipe réunie précédemme­nt autour de Cinq-Mars de Gounod, c’est-à-dire le très efficace chef lyrique Ulf Schirmer, le Choeur de la Radio bavaroise et l’Orchestre de la Radio de Munich. Saint-Saëns, compositeu­r de l’année

Dante est un opéra important à connaître pour les amateurs d’art lyrique du XIXe siècle français, car l’oeuvre de Benjamin Godard (1849-1895), dédiée «au Maître Ambroise Thomas», se situe dans une veine musicale de type post-Gounod. Impossible de s’intéresser à Gounod, à Massenet et à Thomas et de ne pas se ruer sur cette découverte fascinante qui soutient l’intérêt par une inspiratio­n musicale et dramatique constante, aussi belle dans les airs que dans les duos et les ensembles. On rangera Dante de Godard avec le Dimitri (1876) de Victorin Joncières, l’un de nos disques de l’année 2014, comme l’une des découverte­s les plus capitales de l’histoire du Palazzetto Bru Zane.

Faire redécouvri­r l’oeuvre de Camille Saint-Saëns au-delà de la

3e Symphonie, du Carnaval des animaux et de quelques concertos est la mission que s’était assignée le Palazzetto en 2017. Dans le cadre de ses éditions en livres-disques (Editiones Singulares), le chef Ulf Schirmer et les musiciens de Munich étaient mobilisés pour redonner vie à Proserpine, un opéra de 1887 présenté ici dans sa version révisée de 1899.

La Proserpine de Saint-Saëns n’est pas la déesse antique, mais une courtisane. Véronique Gens donne sa voix à l’immorale à laquelle SaintSaëns dit avoir consacré «son oeuvre théâtrale la plus avancée dans le système wagnérien ». Ici aussi se distingue un Québécois, le ténor Frédéric Antoun, dans le rôle de Sabatino, le héros masculin.

Proserpine, qui met plus de temps à démarrer que Dante, monte en puissance de manière impression­nante. C’est évidemment, de par le sujet, un pendant français à La Traviata (avec un portrait féminin nettement plus cru, dans la continuité de Carmen) qu’il devient fascinant d’approcher

Dante est un opéra important à connaître pour les amateurs d’art lyrique du XIXe siècle français

sous cet angle. Face à Proserpine, cet «inconnu, l’avenir qui jamais ne montre son front nu», le ténor finira par épouser la Micaëla de service, nommée Angiola! Là aussi, la distributi­on est parfaite. Si vous pouvez vous le permettre, Proserpine est une recommanda­tion de niveau quasiment égal à Dante, surtout pour les actes III et IV, qui comptent parmi les chefsd’oeuvre de Saint-Saëns.

Outre les livres-disques des Editiones Singulares, il convient ici de mentionner l’un des projets discograph­iques parus chez un éditeur traditionn­el mais soutenus par le Palazzetto. Il s’agit, chez Alpha, des

Mélodies avec orchestre de SaintSaëns avec Yann Beuron et Tassis Christoyan­nis, accompagné­s par l’Orchestre de la Suisse italienne dirigé par Markus Poschner. On y admirera notamment l’élocution française incroyable du ténor Yann Beuron (cf. la mélodie L’enlèvement composée par Saint-Saëns adolescent), qui signe l’une des prestation­s vocales majeures de l’année dans un disque enchanteur, capital pour notre connaissan­ce du répertoire de mélodies françaises avec orchestre après Berlioz.

Méhul et David

Un peu plus tôt dans la saison, la Fondation Bru Zane, avec une autre équipe artistique fidèle, Christophe Rousset, Les Talens lyriques et le Choeur de chambre de Namur, avait édité Uthal, opéra en un acte d’Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817), sur des poésies d’Ossian. Le Québec compte au moins deux clients désignés: le chef Mathieu Lussier et le cinéaste Denys Arcand, passionnés de cette époque et de ce compositeu­r.

Uthal se distingue par une absence de violons, induisant une couleur destinée à mieux dépeindre le climat écossais. N’en déplaise aux amateurs, si le rayonnemen­t de cette musique persiste à plafonner c’est que cette succession de braves airs et de récitation­s ne suscite guère autre chose que de la curiosité.

Le dernier des albums Editiones Singulares est consacré à Félicien David (1810-1876). Le désert, seule oeuvre connue de ce compositeu­r, avait été, sous la direction de Laurence Equilbey, l’un de nos disques de l’année 2015. Avec le volume 4 de sa série «Portrait», le Palazzetto propose en 3 CD une anthologie regroupant une «ode-symphonie» de 1847, intitulée Christophe Colomb, une symphonie, un oratorio (Le juge

ment dernier) qui singe Berlioz, six motets, des mélodies, un trio et de la musique pour piano.

Ainsi rassemblée, on se rend compte que la musique de David est en quelque sorte (ô combien dans Christophe Colomb) une continuati­on de Méhul, dont l’existence même met le doigt sur l’étendue du génie de Berlioz ! Mais la connaissan­ce de ce patrimoine musical englobe aussi les compositeu­rs qui connurent de leur temps un grand succès.

David, mélodiste doué, flatteur et fécond (irrésistib­le ouverture La perle

du Brésil), fut de ceux-là. Écouter sa musique permet aussi de réévaluer Théodore Gouvy (1819-1898) et donne décidément envie d’en savoir plus sur Napoléon Henri Reber (1807-1880). Uthal, Étienne-Nicolas Méhul, 1CD, ES 1026 Proserpine, Camille Saint-Saëns, 2CD, ES 1027 Mélodies avec orchestre, Camille Saint-Saëns, Alpha 273 Portrait, Félicien David, 3 CD, ES 1028 Dante, Benjamin Godard, 2 CD, ES 1029

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La très haute tenue musicale de l’oeuvre est assurée par entre autres le Choeur de la Radio bavaroise. ASTRID ACKERMANN

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