Le Devoir

Ce lumineux objet du désir

Luca Guadagnino poursuit son exploratio­n du thème de l’amour avec Appelle-moi par ton nom

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Dans une villa italienne en 1983, Elio, 17 ans, soupire et s’alanguit. Intellectu­el polyglotte et musicien surdoué, le jeune homme s’apprête à passer un énième été oisif en compagnie de ses parents. S’amène alors Oliver, un doctorant américain de 24 ans venu assister le père d’Elio, qui est professeur d’archéologi­e. Jusque-là ambivalent quant à son orientatio­n sexuelle, Elio est subjugué. D’abord troublé, Oliver se laisse séduire. Graduellem­ent, leur attirance mutuelle se meut en amour véritable, le premier d’Elio. Avec ce sublime Appelle-moi par ton nom, à l’affiche dès le 22 décembre, Luca Guadagnino propose un récit d’éducation sentimenta­le dont la délicatess­e n’a d’égal que le romantisme.

Ce faisant, le cinéaste clôt sa «trilogie

du désir » après Amore (I Am Love) et Au bord de la piscine (A

Bigger Splash). «En tant qu’êtres humains, nous sommes faits de désirs, croit Luca Guadagnino. Nous sommes la résultante de l’enchevêtre­ment de nos passions. » De Forster à Aciman

C’est certaineme­nt le cas dans Appelle-moi par ton nom (Call Me by

Your Name), tiré d’un roman primé de l’Américain André Aciman traduit en français sous le titre Plus tard ou

jamais (Grasset). Dès sa parution en 2007, le cinéaste James Ivory voulut l’adapter, renouant ainsi avec une grande histoire d’amour gaie 20 ans après avoir porté à l’écran Maurice, d’E. M. Forster.

OEuvre charnière, Maurice fut en son temps ce rare film où deux hommes s’aimaient sans être punis à la fin, voire sans que l’un d’eux meure. Campé dans un décor que l’auteur connut à l’âge de son personnage, le roman d’Aciman ne saurait être plus différent, mais il présente néanmoins de belles similitude­s avec ses complicati­ons sentimenta­les liées au secret et sa célébratio­n ultime du masculin pluriel.

Ici, toutefois, le premier amour est rendu d’autant plus poignant du fait qu’on le devine condamné à s’achever avec l’été.

À terme, Ivory coécrivit le scénario avec Guadagnino. «Le projet a été en développem­ent pendant des années, puis James et le producteur Peter Spears m’ont contacté. L’idée de collaborer avec James Ivory [également réalisateu­r de Chambre avec vue et de

Howards End] me plaisait énormément. Qui plus est, le roman d’Aciman est, à la base, superbe, très proustien. C’est une magnifique histoire d’amour. Une magnifique histoire d’amour gaie, oui, mais universell­e aussi. Les émois liés à un premier amour, la violence et la pureté des sentiments qu’on vit alors, c’est universel.» C’est universel Émois que Timothée Chalamet, comédien new-yorkais né d’un père français et d’une mère américaine, suggère avec brio. Outre qu’il passe, dans le film, de l’italien à l’anglais et au français, Chalamet offre une interpréta­tion d’une incroyable finesse, en plus de partager une chimie brûlante avec Armie Hammer, tout aussi mémorable dans le rôle d’Oliver.

«Timothée m’a été suggéré et tout de suite je lui ai trouvé ce mélange de gravité et de naïveté propre à Elio. Quant à Armie, je l’avais rencontré à l’époque du film de Fincher Le réseau

social (Social Network). Nous avions discuté et je m’étais dit qu’il s’agissait là de quelqu’un avec qui j’aimerais collaborer. Il n’a peur de rien, Armie. Il s’abandonne. »

Tant le romancier que le cinéaste épousent le seul point de vue d’Elio, dépeint comme un jeune homme non seulement mature, mais érudit. Pour autant, le facteur âge — il a 17 ans et

Oliver en a 24 — a donné lieu à un début de commenceme­nt de controvers­e. La question est certes légitime, mais plusieurs y ont surtout vu une manoeuvre prévisible pour jeter le discrédit sur le film en vue des Oscar:

Appelle-moi par ton nom est l’une des production­s les plus acclamées de l’année. «Je ne me suis pas inquiété de cet aspect, pour être honnête. Il n’y a pas de relation de pouvoir.»

Dans le roman comme dans le film, les parents ne pipent mot tandis qu’ils couvent d’un oeil à la fois préoccupé et bienveilla­nt le pas de deux auquel se livrent leur fils et leur invité. D’emblée implicite, leur sagacité devient explicite vers la fin lors d’un passage bouleversa­nt où le père d’Elio le console tout en lui ouvrant son coeur. Tact et sensibilit­é Dans cette scène tout comme en amont de celle-ci, le cinéaste aborde les enjeux de l’éveil amoureux, de la séduction et de la sexualité avec beaucoup de tact et de sensibilit­é.

En cela, il suit un peu les traces de Robert Mulligan, dont le film Un été

42 (Summer of ’42), sur la liaison entre un adolescent et la jeune veuve d’un soldat, avait séduit en 1972.

De conclure Luca Guadagnino: «C’est tout simple, au fond: c’est l’histoire d’un garçon qui aime un autre garçon qui l’aime en retour. C’est l’histoire de gens qui sont capables de compassion, de communion. »

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MÉTROPOLE FILMS Timothée Chalamet offre une interpréta­tion d’une incroyable finesse, en plus de partager une chimie brûlante avec Armie Hammer (photo de droite), tout aussi mémorable dans le rôle d’Oliver.
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Le cinéaste Luca Guadagnino CHARLEY GALLAY AGENCE FRANCE-PRESSE
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