Un manège nommé désir
Nostalgie, trahison et jalousie, le cocktail coloré d’un Woody Allen infatigable
Woody Allen n’en a visiblement pas fini avec Tennessee Williams. Il avait revisité Un tramway nommé
désir dans Blue Jasmine, permettant à Cate Blanchett de ramasser au passage quelques statuettes pour sa brillante interprétation.
Kate Winslet possède la même assurance éclatante, et dans Wonder
Wheel, Allen ne s’est pas trompé en la choisissant pour incarner une de ces héroïnes fragiles dont il a le secret, aimant les plonger dans une misère dont elles sortent rarement indemnes, une posture qui remonte à
Interiors. Il y a également un soupçon de Radio Days dans cette description nostalgique de Coney Island, celui des années 1950, ce Disneyland de Brooklyn, les manèges du site devenant métaphore de ce destin implacable tournant toujours trop vite.
Rien ne va comme le veut Ginny (Winslet), actrice déchue devenue serveuse, épouse du sanguin Humpty (Jim Belushi), un Stanley Kowalski privé d’alcool qui a du mal à accepter les deux passions du fils de Ginny, issu d’un premier mariage: le cinéma… et la pyromanie. D’autres feux vont s’allumer lorsque cette femme épuisée par tout ce qui l’entoure reprend goût à la vie au contact d’un jeune et séduisant maître nageur aux prétentions littéraires (Justin Timberlake dans un rôle inconsistant), idylle devenant plus compliquée avec l’arrivée de la séduisante Carolina (Juno Temple), fille écervelée de Humpty, pourchassée par des mafiosi.
Wonder Wheel se présente tel un carrousel de ses grands thèmes (les infidélités conjugales, la jalousie dévorante, la trahison par la lâcheté), et Allen a confié à l’illustre chef opérateur Vittorio Storaro le soin de colorer le tout en s’appuyant sur les lumières vives de ce paradis de la classe moyenne. Les éclairages viennent souvent se poser sur les visages inquiets de ces antihéros, déboussolés ou impuissants devant l’accumulation de malheurs qui vont les conduire jusqu’à une tragédie dont on nous épargne les détails sordides.
Farcie de références théâtrales, dont un appartement miteux aux contours factices pleinement assumés, la mécanique narrative combine à la fois la légèreté de ses comédies romantiques et le ton sentencieux de ses fables moralistes à la Crimes and
Misdemeanors. Or, malgré la somme de ses atouts, Winslet et Storaro au premier chef, Wonder Wheel camoufle mal l’essoufflement de son auteur, ne serait-ce que dans la manière d’articuler le suspense autour de la figure (teintée de misogynie, une fois encore) de Carolina. Si Allen voulait épingler la bêtise de personnages maîtrisant mal l’art de la magouille ou de la dissimulation, c’est réussi…
Confier à Timberlake la tâche du narrateur, s’adressant parfois directement à la caméra, stratagème usé à la corde, ajoute à cette impression de routine qui guette toujours le cinéaste. À la vitesse à laquelle il tourne, une baisse de régime apparaît compréhensible, et ce ne serait pas la première fois que l’on rédigerait en douce sa notice nécrologique artistique. Or, même les films mineurs de Woody Allen procurent du plaisir, comme ici, furtif, à l’égal d’un tour de manège. Wonder Wheel
★★ 1/2 Drame de Woody Allen. Avec Kate Winslet, Juno Temple, Justin Timberlake, Jim Belushi. États-Unis, 2017, 101 minutes.