Regards croisés sur la fondation de Montréal
Deux bédés remontent le fil d’une histoire vue par les Français et les Algonquins
Oubliez Montréal telle que vous la connaissez. Oubliez ses ponts, ses autoroutes et ses voitures. Ouvrez les albums de bande dessinée 1642 Osheaga et 1642 VilleMarie, de François Lapierre, Tzara Maud et Jean-Paul Eid, et plongez dans l’histoire. Bienvenue sur l’île de tous les dangers.
Nous sommes à l’époque de la fondation de Ville-Marie. Maisonneuve, Jeanne Mance et une cinquantaine d’autres pionniers français s’installent sur le site du village iroquoien d’Osheaga. Pour reconstituer cette époque, les trois bédéistes ont conçu ces deux albums, qui se passent tous deux au même moment.
Ici, deux points de vue se rencontrent: celui des Algonquins, sous le regard d’Askou, et celui des Français, principalement à travers le regard de Gauthier. Les deux livres, complémentaires en quelque sorte, paraissent simultanément aux Éditions Glénat Québec.
Ce sont François Lapierre et Tzara Maud qui ont écrit les scénarios des deux livres. Jean-Paul Eid a fait les dessins de 1642 Ville-Marie et François Lapierre, ceux de 1642 Osheaga. Les albums se répondent en ce sens aussi que, si un personnage part dans un livre, on le retrouvera en mission dans l’autre.
Passionné depuis longtemps par la Nouvelle-France, François Lapierre a fouillé dans ses livres pour recréer le
contexte de la présence amérindienne au Québec à la période du contact. Il a notamment consulté Iroquoisie de Léo-Paul Desrosiers, L’Algonquin Tessouat et la NouvelleFrance de Rémi Savard et Onon:ta’ de Pierre Monette.
L’île de Montréal qu’il peint surgit dans sa beauté sauvage, mais est aussi le théâtre d’une guerre sanglante entre les Algonquins et les Hurons, qui sont les alliés des Français, et les Iroquois, qui règnent sur la région.
Tous les personnages principaux des deux bandes dessinées, Gauthier, Askou, Tekola et Meha, sont fictifs. Par contre, plusieurs personnages et événements racontés dans l’histoire ont réellement existé. Les bandes dessinées dépeignent délibérément un contexte de guerre et de positionnement stratégique.
« Montréal, à l’époque, c’est une plaque tournante pour le commerce des fourrures, et même avant le
commerce des fourrures, c’était un carrefour pour la pêche, pour la guerre. Il y a des peuples qui ont toujours habité là. Et à un moment donné, s’il n’y en avait pas plus, c’est parce que c’était trop dangereux. C’était trop exposé», explique François Lapierre, qui se passionne pour la Nouvelle-France depuis des années. Pour cette raison, dit-il, à une certaine époque, «ça n’était pas un endroit où les gens tentaient de s’établir ».
Le regard de nations alliées
Les deux bandes dessinées portent le regard de nations alliées, soit les Algonquins et les Français. Les Iroquois y sont donc forcément dépeints comme des ennemis.
«Il y a quand même des pages qui ont été consacrées à la vision des Iroquois, dit Maud. Idéalement, on aurait fait une troisième bédé pour expliquer leur point de vue à eux. »
Il n’est d’ailleurs pas exclu que les bédéistes s’y consacrent un jour, si demande il y a. «Il y avait tellement de matière, dit François Lapierre. Il y a aussi le point de vue des Jésuites et
des religieux. Montréal a été fondée par des mystiques religieux, on aurait pu utiliser ça.» Les points de vue sont d’ailleurs cruciaux dans la compréhension des événements historiques.
Dans 1642 Osheaga, les auteurs mettent par exemple en scène le personnage du chef algonquin Tessouat, qui a notamment été décrit dans le livre L’Algonquin Tessouat et
la Nouvelle-France de Rémi Savard. Or, si l’on se fie uniquement au point de vue des Jésuites, relaté dans leurs
Relations, Tessouat est un mauvais personnage.
«Tessouat tenait tête aux Jésuites au lieu de faire tout ce qu’ils voulaient. Donc, les Jésuites détestaient Tessouat, explique François Lapierre. Mais c’est juste un point de vue. Jusqu’à récemment, on pensait que Tessouat était mauvais. »
Cela étant dit, plusieurs professeurs se sont dits ravis de l’arrivée de ces bandes dessinées, qui pourraient les assister dans leur travail. «Il y a eu des bédés plus pédagogiques», dit Jean-Paul Eid. Or les adolescents, entre autres, mordent bien au concept du récit d’aventures.
Tessouat tenait tête aux Jésuites au lieu de faire tout ce qu’ils voulaient. Donc, les Jésuites détestaient Tessouat. FRANÇOIS LAPIERRE