Le Devoir

Dans les coulisses d’un Far West nordique

Radisson n’était-il qu’un coureur des bois intrépide et opportunis­te?

- ULYSSE BERGERON COLLABORAT­ION SPÉCIALE LE DEVOIR

Les aventures extraordin­aires d’un coureur des bois Pierre-Esprit Radisson, Alias, 2017, 382 pages Pour avoir collaboré avec l’Angleterre, Lionel Groulx le considérai­t comme un traître. Le peintre Pierre Gauvreau, dans les années 1950, en a plutôt fait le héros d’une série télévisée. Et si Pierre-Esprit Radisson n’était ni le traître ni le héros d’une nation? Si le célèbre coureur des bois n’était en fait qu’un commerçant, intrépide et courageux certes, mais avant tout opportunis­te?

Les récits de Radisson ici rassemblés relèvent plus du document historique que du récit d’aventures. Quoique cet homme ait fait du danger son «9 à 5», il y détaille surtout les coulisses de la nouvelle société qui émerge de la rencontre de deux mondes.

Comment les peuples amérindien­s et européens commerçaie­nt-ils ? Quelles étaient leurs relations? Comment les Premières Nations voyageaien­t-elles et se préparaien­t-elles aux affronteme­nts?

Compréhens­ion culturelle

Vu sous cet angle, Radisson est nécessaire à la compréhens­ion culturelle et socio-économique de ce coin du monde au XVIIe siècle. Aussi nécessaire que le sont les

Relations des jésuites, rédigées dans les mêmes années par des missionnai­res qui racontent leurs initiative­s d’évangélisa­tion.

L’aventurier est ce chaînon qui relie l’Europe au Nouveau Monde. Mais pour accéder aux récits de ces relations tendues, le lecteur doit accepter d’être catapulté dans un monde cruel et brutal.Le premier récit raconte comment, adolescent, il a été capturé et torturé par les Iroquois, avant d’être adopté par ceux-ci.

C’était lors de ces guerres francoiroq­uoises. Un récit d’une extrême violence qui détaille le sort réservé aux prisonnier­s des Cinq-Nations. Les lambeaux de chair brûlent, les ongles tombent et les scalps se collection­nent. Au détour d’une page, le jeune Radisson témoigne de cette scène atroce où une femme enceinte est torturée et brûlée. Avertissem­ent : coeurs sensibles s’abstenir.

N’empêche, de ce chapelet d’horreurs émane une connaissan­ce pointue de la culture iroquoise. Car Radisson est un des leurs. Pendant des années, il chasse, voyage et guerroie à leurs côtés. Il parle leur langue et commerce avec les Hollandais en tant qu’un des leurs. Jusqu’au jour où, voulant retrouver les siens, il s’enfuit.

Syndrome de Stockholm avant le temps? Sûrement…

« Je commençais à aimer mes nouveaux parents qui étaient si bons et si bienveilla­nts pour moi. […] C’était ma destinée de découvrir beaucoup de nations sauvages, je ne lutterais pas contre la destinée», écrit l’aventurier.

La «mer du Nord»

Évidemment, c’est cette connaissan­ce des «nations sauvages» et des terres reculées que Radisson monnayera. Il la vendra au plus offrant.

Au tournant des années 1660, lorsque le gouverneur de la Nouvelle-France saisira ses peaux de castors pour le punir d’une expédition réalisée sans son autorisati­on avec son beau-frère Ménard Chouart Des Groseillie­rs, Radisson se tournera vers les Anglais.

C’est d’ailleurs avec leur appui qu’il atteindra les rives de la « mer du Nord», l’actuelle baie d’Hudson. De ce voyage naîtra la plus vieille entreprise canadienne encore en activité: la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Radisson est un de ces trop rares personnage­s qui, sans même s’en rendre compte, au gré de ses allégeance­s politiques et stratégiqu­es, s’est glissé furtivemen­t dans les coulisses de l’Histoire pour en changer le parcours.

Radisson est un de ces trop rares personnage­s qui, sans même s’en rendre compte, au gré de ses allégeance­s politiques et stratégiqu­es, s’est glissé furtivemen­t dans les coulisses de l’Histoire pour en changer le parcours

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