Ulysse sur un caillou
Eugène Nicole sonde sa vie passée sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon
Retour d’Ulysse à Saint-Pierre raconte le retour, non pas d’Ulysse, mais d’Eugène Nicole, l’auteur, dans son archipel natal de Saint-Pierre-et-Miquelon. Énième retour, en fait, car Nicole, professeur de littérature française à l’Université de New York, a consacré pratiquement toute son oeuvre (notamment la fresque en cinq tomes L’oeuvre des mers) à son cher «caillou», que l’histoire a curieusement laissé à la France, au sud de Terre-Neuve.
Le retour est cette fois motivé par la disparition de sa maison natale. Le projet de la municipalité de SaintPierre de transformer la Maison Jacquet en musée de l’habitat traditionnel saint-pierrais a été abandonné, et la maison, détruite, au grand dam de l’auteur.
Elle a été remplacée par un square, asphalté en plus, avec cinq bancs publics déjà gagnés par la rouille. L’ignominie! C’est assis sur un de ces bancs publics que, l’Ulysse de Joyce entre les mains, Eugène Nicole se rappelle l’histoire de cette maison, sa mère décédée en 1947 alors qu’il n’avait que cinq ans, sa grand-mère qui avait pris la relève: «les évènements d’une vie s’agencent comme les répliques d’un tremblement de terre ».
Le tout sur un ton parfois humoristique, parfois mélancolique, puisque maintenant, avec la destruction de sa maison et d’autres bâtisses de l’archipel qui subissent les assauts du temps, c’est «encore un vestige du vieux Saint-Pierre qui disparaît ».
Nostalgie? Un peu, mais surtout une méditation sur le temps, la mémoire et la représentation du passé. Pour ce faire, Nicole évoque l’Ulysse d’Homère qui retourne à Ithaque après 10 ans d’absence, et aussi l’Ulysse de Joyce, duquel il s’inspire en recourant à la technique du monologue intérieur et des associations libres, qui créent des liens parfois surprenants et féconds.
La Maison Jacquet a disparu, mais aussi, de la fenêtre de son appartement à New York, les tours jumelles du World Trade Center. Tout passe… Que reste-t-il? De son banc de parc, il se prend à rêver d’une plaque qui eût rappelé, au moins, son ancienne maison dans le square, mais, comme aucun mur ne pourrait en constituer le support, «pourquoi ne pas plutôt l’orner d’une statue en vinyle et fibre de verre, moulant mon corps assis sur ce banc, […], avec cette légende inscrite sur son socle : vieillard lisant à l’endroit où se trouvait sa maison… ».
Il y a ainsi de belles trouvailles dans ce récit, et l’écriture aux longues phrases proustiennes (Nicole est un spécialiste de Proust) est magnifique. Mais on ne peut s’empêcher de trouver un peu longue, voire mince, la matière des souvenirs parfois microscopiques rapportés par l’auteur.
Certaines évocations du passé sont intéressantes: l’histoire elle-même de Saint-Pierre-et-Miquelon, les traces des anciens quartiers divisés selon l’origine normande, bretonne ou basque des habitants. Mais d’autres souvenirs plus personnels, parfois fantaisistes, n’ont pas la même épaisseur. Même la littérature ne peut pas tout sauver.