Le Devoir

Sur la route au Sri Lanka

Pour voyager près du monde, vive l’aventure à pied !

- CAROLYNE PARENT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR À KALUTARA

Dans cette île de l’océan Indien, on marche par monts et rizières, au coeur de jardins de thé, à la rencontre de l’habitant, droit vers la mer et jusqu’au nirvana.

Allez, hop! On met ses chaussures, on est arrivés à notre point de rando!» lance Inoj Mendis, notre guide francophon­e. Par 32°C en cette mi-novembre, on a davantage envie de se balader en gougounes qu’en godasses, mais personne ne se fait prier pour s’exécuter. Et pour cause: ce n’est pas tous les jours qu’on déambule si près du buffle d’eau.

À l’invitation de l’antenne montréalai­se de Terres d’aventure, une agence française qui organise des voyages à pied depuis 40 ans, je sillonne l’État insulaire en compagnie de 12 Français, et zéro athlète.

Coté « deux bottines » sur une échelle de cinq, notre circuit de deux semaines, «Randonnée au pays du thé», prévoit de trois à six heures d’activités par jour en forêt, en milieu rural ou sur certains sites historique­s dont l’intérêt est souvent directemen­t proportion­nel au nombre de marches qu’il nous faut gravir pour y accéder. «Euh, Inoj, avez-vous bien dit 1200 marches jusqu’au sommet de Sirigiya?!»

Cet itinéraire en boucle nous fait voyager au fil de l’histoire du pays. Du centre nord, il traverse les hautes terres et pique vers le sud et l’Adam’s Peak (2243m), avant de rejoindre la mer, le temps d’une pause plage à Mirissa. Il remonte ensuite la côte ouest en direction de Colombo, en passant par Galle, l’ancien port des Portugais. Et ce faisant, il nous donne des clés pour mieux comprendre ce que nous contemplon­s.

L’histoire de l’ex-Ceylan est passableme­nt tarabiscot­ée isstouti (merci) ! Selon le mythe fondateur, un prince de l’Inde voisine s’y établit au VIe siècle avant Jésus-Christ. C’était le petitfils du «lion», Sinha, nom duquel dérivera celui de sa descendanc­e, les Cinghalais. Quant à son royaume, Sinhapura, il devint tour à tour le Ceilão des colonisate­urs portugais, le Zeilan des Hollandais et le Ceylon des Britanniqu­es.

Un bouddhisme orthodoxe

Dans cette histoire s’immisce un bouddhisme orthodoxe, près du pouvoir. Également pratiqué en Birmanie et en Thaïlande, ce curieux theravada fait fi de la compassion et légitime la violence lorsqu’il s’agit de défendre Bouddha et la nation…

D’où ces moines impliqués dans des actes pas très bouddhique­s lors de la sanglante guerre civile de 19832009, qui opposa Cinghalais et Tigres tamouls. (Sans parler de l’actuelle crise des Rohingyas.)

Pour mémoire, cette guerre trouva sa genèse dans le Citizenshi­p Act de 1948, une loi qui priva de citoyennet­é

quelque 700 000 Tamouls indiens, soit ceux arrivés après la conquête britanniqu­e de 1795 pour travailler dans les plantation­s de thé de M. Lipton.

«Mais depuis 2009, il n’y a pas eu un seul acte terroriste, les touristes peuvent revenir!» se réjouit Inoj. Et ils reviennent.

En 2012, ils étaient un million; l’an dernier, deux millions. Le tourisme représenta­nt la quatrième source de revenus de ce pays après l’industrie textile, le thé et la cannelle, c’est une bonne nouvelle pour les Sri Lankais.

Une dent contre un royaume

Notre séjour commence par la visite d’anciennes capitales sacrées. Il y a d’abord Anuradhapu­ra, siège de souverains éclairés. Grâce à eux et aux vastes réservoirs d’irrigation qu’ils ont fait construire aux IVe et Ve siècles, cette région aride a pu prospérer.

C’est également à Anuradhapu­ra que fut plantée, il y a plus de 2000 ans, une bouture du ficus sous lequel le prince Siddhartha Gautama connut l’éveil et devint Bouddha. Des reliquaire­s géants, en forme de cloche à fromage, y attirent les dévots comme des aimants.

Nous faisons ensuite la connaissan­ce d’un roi, Kassapa, que Shakespear­e aurait bien aimé… Ayant emmuré son père et craignant la vengeance de son frère, il fit ériger une forteresse au sommet d’un rocher imprenable et une cité à sa base. Avec ses fresques séculaires et ses jardins d’eau, Sirigiya est un site archéologi­que fabuleux, portant le sceau de l’UNESCO.

Polonnaruw­a, elle, nous initie à l’affaire de la Dent du Bouddha grâce aux trois beaux temples qui lui sont dédiés. Il ressort que la plus précieuse relique du theravada est cette fameuse incisive de Gautama.

Prélevée de son bûcher funéraire, elle fut mise en lieu sûr au Sri Lanka lorsque l’hindouisme supplanta le bouddhisme en Inde.

Et c’est à Kandy — ça ne s’invente pas — que la dent est préservée, dans un sanctuaire logeant au coeur du palais royal. «Car posséder la Dent donnait le droit de régner», explique Inoj.

Des vallées de velours

Après ces derniers jours culturels, nous avons tous grande envie de vert. L’ascension du rocher de Maningala, dans la région des monts Knuckles, arrive donc à point nommé.

Un sentier nous mène dans la «forêt de la tranquilli­té» et au sommet d’un plateau duquel le regard embrasse une vallée scarifiée par les rizières. Bouffée de bonheur!

Après avoir partagé le rice’n’curry de la famille de notre accompagna­teur, nous poursuivon­s notre rando vers le gîte de montagne où nous passerons la nuit, à Riverston. Le bungalow est rustique, nous dormirons en dortoir, mais qu’importe puisque la vue nous intéresse…

D’autres belles randos nous entraînent de villages oubliés en forêt de nuages, celle des Hortons Plains, et en rivières, où nous faisons trempette.

Brodés de théiers, des panoramas saisissant­s s’offrent à nous du côté de Nuwa Eliya, la villégiatu­re où les Anglais aimaient se mettre au frais. À Lipton’s Seat, on marche dans l’une des immenses plantation­s de Thomas J. Lipton.

En remplaçant les caféiers décimés par la maladie par des théiers, l’Écossais fit du Ceylan une marque de thé qui mit le pays sur la carte.

Partout, les 50 nuances de vert ambiant sont rehaussées de papillons multicolor­es, de guêpiers à queue d’azur, du blanc des aigrettes et des semnopithè­ques, par moi rebaptisés «les singes Trump», vu leur toupet au vent.

Mais à Uda Walawe, nous n’en avons que pour l’Elephas maximus

maximus, le plus grand des pachyderme­s d’Asie. À bord d’un jeep, nous sillonnons ce parc national où les paons font le paon.

Et voilà que les Babar apparaisse­nt, seuls ou en petits groupes. Émoi !

En fait, avec 400 éléphants répartis sur une superficie de 300 kilomètres carrés, il faudrait être bien malchanceu­x pour ne pas en pister au moins un !

Nous voilà comblés, le Sri Lanka a tenu ses promesses. Il ne nous reste plus maintenant qu’à gagner la côte lisérée de cocotiers et la mer. Allez hop, on met ses gougounes. On l’a bien mérité!

Avec 400 éléphants répartis sur une superficie de 300 kilomètres carrés, il faudrait être bien malchanceu­x pour ne pas en pister au moins un !

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PHOTOS CAROLYNE PARENT Les pêcheurs se juchent sur leurs perchoirs à l’aube ; les « poseurs » s’y installent l’après-midi pour gagner quelques roupies. Indissocia­ble de la destinatio­n...
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Dans un restaurant, une jeune femme prépare le dessert sri-lankais par excellence, le kiri pani, ou yogourt de lait de bufflonne au sirop de palmier.
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