Le Devoir

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Une clinique des Laurentide­s tente de venir en aide aux consommate­urs de drogues

- PAULINE GRAVEL

La vague de surdoses liées au fentanyl n’est pas l’apanage des grandes villes comme Montréal. Les régions aussi connaissen­t ce fléau qui y fait proportion­nellement tout autant de victimes.

Les travailleu­rs de rue qui sont en contact avec les consommate­urs ont en effet remarqué depuis quelque temps que les personnes qui consomment de la méthamphét­amine — des amphétamin­es fabriquées dans des laboratoir­es clandestin­s — ou de la cocaïne achetée dans la rue deviennent accros plus souvent et plus rapidement qu’avant. Le Dr Jean Robert, médecin infectiolo­gue à la Clinique Santé Amitié de Saint-Jérôme, le confirme. Le fentanyl est omniprésen­t. «On commence même à retrouver du fentanyl dans le pot », dit-il.

Les trafiquant­s ajoutent du fentanyl aux drogues qu’ils préparent dans le but de rendre les consommate­urs dépendants à la substance qu’ils ont essayée et ainsi d’augmenter leurs ventes. Cent fois plus puissant que la morphine, le fentanyl induit des sensations fortes et, surtout, il crée une dépendance. Et comme les gens de la rue consomment des mélanges — de la cocaïne, de la méthamphét­amine, de la lidocaïne (un anesthésiq­ue pour les dents qu’ils font chauffer) —, ils risquent ainsi d’absorber une surdose de fentanyl à leur insu.

«Les consommate­urs de la rue sont terrassés par la peur parce qu’ils voient plusieurs de leurs amis mourir. Ils vivent dans l’angoisse, car ils sont dépendants et en manque de drogues qu’ils doivent s’acheter dans la rue», souligne le Dr Robert.

En collaborat­ion avec les travailleu­rs de rue des Laurentide­s, le Dr Robert a prévu une stratégie pour faire face à cette menace. D’abord, à l’aide de languettes de détection sensibles au fentanyl, il teste les restes de drogues non consommées qui lui sont apportés. Dès qu’il détecte la présence de fentanyl dans un comprimé, une poudre ou dans une autre forme de drogue, il envoie illico une photo de la drogue en question aux travailleu­rs de rue qui informent à leur tour les consommate­urs.

D’autre part, la Clinique Santé Amitié a préparé de petites trousses contenant des seringues et des fioles de naloxone, un médicament qui peut sauver des vies puisqu’il bloque l’effet du fentanyl lorsque celui-ci a pris le contrôle du système nerveux, et en particulie­r du centre de la respiratio­n. Le Dr Robert distribue ces trousses de naloxone aux travailleu­rs de rue et leur enseigne comment administre­r la substance.

Des consommate­urs «cachés»

Yan Bourdages, travailleu­r de rue à Lachute, n’a jamais été témoin d’un cas de surdose au fentanyl, car les grands consommate­urs sont «cachés, puisqu’ils se retrouvent souvent à deux ou cinq dans un appartemen­t». Néanmoins, tout comme Mathieu Lavoie, travailleu­r de rue à Saint-Eustache, Yan porte toujours sur lui une trousse de naloxone, et il en donne à des usagers qui sont en relation avec des consommate­urs susceptibl­es d’être exposés à des surdoses. «Tout le monde doit savoir que la naloxone existe et qu’on doit réagir vite », souligne Mathieu, qui croise les toxicomane­s principale­ment dans les bars et les parcs de Saint-Eustache, tandis que Yan les rencontre plutôt dans les magasins à bas prix et les dépanneurs de Lachute.

La majorité des itinérants et toxicomane­s avec lesquels les travailleu­rs de rue créent des liens n’ont pas de carte d’assurance maladie. Une de leurs missions est donc aussi de les aider à remplir les formulaire­s pour obtenir des cartes d’identité valides afin de pouvoir ensuite les faire entrer dans une structure plus traditionn­elle.

«Ce qui va sauver le système, c’est le communauta­ire, et au premier chef les travailleu­rs de rue qui nous renseignen­t sur ce qui se passe sur le terrain parce qu’ils savent où les gens se piquent, où se passe la prostituti­on. Ce sont d’excellents intermédia­ires pour approcher les gens de la rue qui sont hyperbless­és et très méfiants», affirme le Dr Robert.

De plus, les services offerts à ces laisséspou­r-compte de la société sont faméliques. «À Lachute, par exemple, il n’y a pas de médecin qui peut prescrire de la méthadone à une personne qui aimerait commencer un programme de substituti­on. Cette personne doit donc se rendre à Saint-Jérôme, mais elle n’a pas de voiture pour y aller. Il y a des manques un peu partout dans le système», affirme Yan Bourdages.

Mais «les toxicomane­s n’iront jamais manifester dans la rue pour qu’on leur vienne en aide parce qu’ils ont honte, ils sont gênés, ils sont mal à l’aise », ajoute Mathieu Lavoie.

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Une trousse préparée par la Clinique Santé Amitié contenant des seringues aux aiguilles rétractabl­es et des fioles de naloxone pouvant sauver des vies lors de surdoses.

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