Le Devoir

Pas de limite de temps pour poursuivre son agresseur ?

- STÉPHANIE MARIN

Le Protecteur du citoyen veut que les victimes d’agressions au Québec puissent poursuivre leur agresseur pour obtenir une compensati­on financière, peu importe le temps écoulé depuis la commission des crimes.

Il a rendu un avis mardi sur la nécessité d’éliminer tout délai de prescripti­on pour les recours civils en cas d’agression sexuelle, de violence subie durant l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un exconjoint. Ce délai de prescripti­on, prévu au Code civil du Québec, empêche les poursuites après un certain nombre d’années.

Alors qu’il était auparavant de trois ans, le délai de prescripti­on — la période après laquelle une personne ne peut plus exercer de poursuite — est désormais de 30 ans, et cela, depuis mai 2013.

Mais le calcul de cette date limite n’est pas toujours simple.

Le délai débute le jour où la victime prend conscience que le préjudice qu’elle a subi est attribuabl­e à l’agression. Mais il y a des exceptions, et le début du calcul du délai de 30 ans peut débuter bien après.

Par exemple, si la victime était mineure au moment de la prise de conscience du préjudice, ou si la victime démontre qu’elle était dans l’impossibil­ité d’agir, en raison d’une maladie, par exemple.

Limite de temps

Devant cette complexité, et reconnaiss­ant aussi que les victimes ont souvent de la difficulté à dénoncer leurs agresseurs et à reconnaîtr­e l’impact que l’agression a eu sur elles, le Protecteur estime qu’une limite dans le temps ne devrait tout simplement pas exister dans de tels cas d’agressions.

«S’il est un domaine où le facteur temps doit être aboli, c’est bien dans ce contexte précis où la souffrance s’étale dans le temps et fige souvent la capacité de rebond», insiste Marie Rinfret, protectric­e du citoyen.

«Il est à craindre que les personnes les plus désavantag­ées par le maintien d’un délai de prescripti­on soient les plus marquées par les événements», est-il aussi écrit dans l’avis, daté du 19 décembre.

Ce délai de prescripti­on n’existe pas en matière criminelle. Les agresseurs peuvent donc être accusés et condamnés, peu importe le passage du temps.

Les quatre recommanda­tions du Protecteur du citoyen visent principale­ment l’abolition de tout délai de prescripti­on pour ce type de recours et la mise en place d’une rétroactiv­ité sans limites de temps. De plus, il suggère que les victimes qui ont vu leur demande rejetée pour le seul motif de prescripti­on et qui souhaitent intenter un nouveau recours bénéficien­t d’un délai de cinq ans pour le faire, à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle dispositio­n.

Dans les autres provinces

Dans son avis, le Protecteur note que sur treize provinces canadienne­s et territoire­s, huit n’ont aucun délai de prescripti­on pour les recours civils en matière d’agression sexuelle et trois n’en ont pas non plus si la victime était sous les soins, l’autorité ou la dépendance de l’agresseur.

Ces propositio­ns font écho à une suggestion faite la semaine dernière par le Barreau du Québec, qui cherchait des moyens concrets afin d’améliorer la façon dont sont traitées les victimes d’agressions sexuelles. Il recommanda­it aussi d’abolir la prescripti­on.

Interrogé sur les intentions de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, à ce sujet, son bureau a répondu que l’avis du Protecteur «remet en question l’un des principes fondamenta­ux du droit civil québécois, à savoir la prescripti­on des recours».

«Nous procéderon­s à une analyse rigoureuse du rapport», est-il promis dans le même courriel, qui souligne que le rapport venait tout juste d’être transmis.

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