Le Devoir

Cadeau empoisonné

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Miné par l’usure du pouvoir et la gestion désastreus­e de Jacob Zuma, le Congrès national africain (ANC) est un parti dysfonctio­nnel. Élu lundi, le nouveau chef du parti, Cyril Ramaphosa, promet de faire le ménage en vue des élections générales de mai 2019. Vaste chantier: pour la majorité des Sud-Africains, la fin de l’apartheid n’a toujours pas tenu ses promesses.

C’est un parti en déroute dont l’actuel vice-président du pays Cyril Ramaphosa prend les rênes, sur la promesse de relancer l’économie et de lutter contre la corruption. D’ex-syndicalis­te à millionnai­re et de héros de la lutte anti-apartheid à parangon de la nouvelle élite noire, l’homme de 65 ans fut dans les années 1990 le dauphin de feu Nelson Mandela avant que Thabo Mbeki ne vienne se mettre en travers. L’ANC étant au pouvoir depuis 1994, la logique politique veut que l’élection de M. Ramaphosa à la tête du parti ouvre maintenant la voie à son élection comme président du pays en 2019. Sauf que jamais n’a-t-il été aussi possible que cette logique soit rompue.

M. Ramaphosa a été élu en fin de semaine par la plus mince des avances (moins de 200 voix sur un total de quelque 5000 délégués votants) contre sa rivale Nkosazana Dlamini-Zuma, exfemme du très controvers­é et très nuisible Jacob Zuma, qui aura passé l’essentiel de ses deux mandats présidenti­els à faire les manchettes pour cause de scandales de corruption. Se superpose à cette frêle victoire le fait que M. Ramaphosa devra composer avec un nouvel exécutif du parti dont la moitié des six membres demeurent des fidèles de M. Zuma. La marge de manoeuvre du nouvel héritier, s’agissant de rebâtir la crédibilit­é de l’ANC d’ici les prochaines élections, est d’autant plus étroite que M. Zuma continuera de contrôler d’ici là les leviers du pouvoir — à moins que finissent par s’avérer les hypothèses voulant que la porte lui soit montrée dès l’année prochaine.

Ce que vient confirmer ce congrès de l’ANC, c’est à quel point ce parti est aujourd’hui déchiré entre deux camps irréconcil­iables. C’est peu dire qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’ANC et que, comme l’ont souligné les observateu­rs, sa victoire est en fait pour M. Ramaphosa un cadeau empoisonné. En l’absence de toute perspectiv­e de réconcilia­tion interne, et sur fond de stagnation économique (taux de chômage avoisinant les 30%), le parti est tellement mal en point que, pour la première fois de son existence, il pourrait être chassé du pouvoir.

L’électorat donne déjà, de toute façon, des signes évidents de mécontente­ment. L’année dernière, une alliance inédite de partis de gauche et de droite avait fait perdre à l’ANC plusieurs grandes villes à l’occasion de scrutins locaux, dont Johannesbu­rg, Pretoria et Port-Elizabeth. Une véritable révolution dans le ciel politique sud-africain.

Aussi, l’état de délabremen­t dans lequel se trouve le parti condamne l’Afrique du Sud à des années de turbulence­s. M. Zuma aura réussi à saboter le développem­ent non seulement du pays, mais aussi d’une grande partie du continent, comme l’Afrique du Sud en est un moteur économique central. Miraculeus­ement, M. Ramaphosa n’a pas été éclaboussé par les scandales qui ont démoli la réputation de M. Zuma, ni par les liens sulfureux entretenus par ce dernier avec l’influente famille Gupta, coupable d’ingérence généralisé­e dans les affaires publiques.

Mais tout intègre qu’il soit, M. Ramaphosa, chouchou des milieux d’affaires, incarne en même temps tous les échecs de l’Afrique du Sud. Voici une société qui demeure profondéme­nt inégalitai­re et où la majorité des Sud-Africains noirs (les trois quarts de la population) vivent toujours dans un grand dénuement. Dans ces conditions, le mieux serait que l’ANC soit chassé du pouvoir en 2019. Un séjour dans l’opposition lui ferait le plus grand bien.

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GUY TAILLEFER

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