Québec prolonge de six mois le moratoire sur le parrainage privé
Suspendu depuis un an, le programme de parrainage privé de réfugiés ne reprendra pas en janvier 2018, a appris Le Devoir. Le gouvernement du Québec prolongera le moratoire jusqu’au 30 juin afin d’avoir le temps d’effectuer la refonte du programme. Il songe également à augmenter la reddition de comptes des groupes qui parrainent et à limiter le nombre de dossiers qui peuvent être déposés, selon ce qu’ont confié des sources au Devoir.
«Je ne suis pas surpris, mais je suis déçu», a indiqué Paul Clarke, directeur d’Action réfugiés Montréal, qui craint que cela freine l’élan de générosité humanitaire des Québécois prêts à parrainer. Il est peu étonné du report de la réouverture du programme parce que le souscomité sur le parrainage collectif (aussi appelé parrainage privé) dont il fait partie n’a été convoqué qu’une seule fois par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI) pour réfléchir à la réforme. «On a eu une réunion en plein milieu de l’été, alors que beaucoup de gens étaient en vacances. Et on est rendu au mois de décembre!» a souligné M. Clarke, disant qu’il se serait attendu à au moins une autre réunion cet automne.
Le 27 janvier dernier, la ministre de l’Immigration d’alors, Kathleen Weil, avait suspendu temporairement le programme de parrainage collectif pour les groupes de 2 à 5 personnes et les organismes communautaires. L’objectif était de réduire l’accumulation devenue ingérable des dossiers de parrainage. À l’époque, plus de 10 000 réfugiés avaient été acceptés par le Québec et attendaient le feu vert du fédéral pour venir s’installer ici, sans compter les milliers demandes qui étaient en attente de traitement. En date d’aujourd’hui, c’est 13 800 réfugiés qui ont été acceptés par Québec et 80 dossiers qui n’ont pas été traités.
Des parrains en attente
À ces demandes non traitées s’ajoutent plusieurs dossiers de parrainage prêts à être déposés par des familles québécoises. «Des enveloppes toutes prêtes qui ne demandent qu’à être envoyées, on en a», indique Sylvain Thibault, responsable des parrainages privés à la Table de concertation des services aux réfugiés et aux personnes immigrantes (TCRI). Même son de cloche chez Action réfugiés
Montréal, qui avait déjà, en 2015-2016, une liste de 800 noms de personnes prêtes à parrainer. «On ne compte plus les téléphones qu’on reçoit, a dit M. Clarke. Quand le programme va recommencer, il va avoir une ampleur qu’il n’avait pas avant. »
À Saint-Félicien, Sabrina Trottier fait partie d’un groupe qui a un dossier de parrainage tout prêt. Elle s’est liée d’amitié avec la mère de la famille parrainée par le premier ministre Philippe Couillard et sa femme Suzanne Pilote et souhaite parrainer sa soeur, qui vit toujours sous les bombes en Syrie. Elle n’attend que la réouverture du programme pour pouvoir déposer son dossier. «On attend juste un go. En attendant, on essaie de ne pas trop créer d’espoir à la famille qui est ici », dit-elle.
«Pour les parrainages privés, plus on attend et plus la pression de ce que vivent les réfugiés est reportée sur les parrains», a constaté pour sa part Sylvain Thibault. «Ils se sentent non seulement impuissants, mais éprouvent de la colère envers les fonctionnaires», dit-il. Si la suspension se prolonge au-delà de juin, il craint que l’engouement des Québécois pour l’aide aux réfugiés s’estompe. «Les gens vont préférer donner ailleurs, ou carrément trouver une autre cause. Pourtant, le besoin de réinstallation est de plus en plus grand. Ce serait dommage qu’on passe à côté de ça. »
Pour Lorraine Guay, du Collectif pour l’accueil des personnes réfugiées, le gouvernement fait là une manoeuvre «électoraliste» de «bas étage». «On dirait que les libéraux sont en train d’emprunter les idées de la Coalition avenir Québec», dit-elle. «Le gouvernement n’est pas pressé de relancer le programme, car il y a des Québécois qui se sont inquiétés de son succès. »
Un programme à revoir
Le MIDI dit prolonger le moratoire vu le nombre élevé de réfugiés qui attendent le feu vert du gouvernement fédéral, mais souhaite également procéder à la refonte du programme.
Paul Clarke est aussi favorable à un meilleur encadrement des organismes qui parrainent — «certains veulent bien faire, mais manquent d’expérience», croit-il —, mais il ne faudra pas que la reddition de comptes devienne un fardeau. «Il ne faut pas que ça soit des rapports pénibles à remplir et qu’on devienne comme des fonctionnaires. Ceux qui parrainent au privé ne reçoivent pas un sou du gouvernement », a-t-il dit.
Toutefois, plutôt que de chercher à imposer un plafond au parrainage privé, il faudra plutôt augmenter les cibles, croient les organismes. «C’est la seule façon d’accélérer les choses», croit Mario Brisson, responsable du parrainage au Bureau des Missions jésuites du Québec. «On nous dit que pour des raisons humanitaires, il ne faut pas laisser les dossiers des réfugiés attendre dans les bureaux de visa dans le monde, mais [le gouvernement] n’a qu’à changer les cibles et laisser les gens parrainer!»
Même si les dossiers étaient traités plus rapidement, l’objectif était d’admettre 4400 réfugiés pour 2017 — le ministère n’a pas encore les chiffres réels pour la totalité de l’année 2017 — et sensiblement la même chose pour 2018. À ce rythme-là, les personnes qui font l’objet de nouveaux parrainages ne pourraient arriver qu’en 2019, voire au-delà.
«Ça n’a pas de sens. On ne parle pas d’immigration économique, mais humanitaire. Les gens vont arriver après avoir attendu des années, les enfants auront des retards scolaires, avec des problèmes de santé mentale », déplore M. Thibault.
Plus de parrainage par l’État
Le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Ottawa croit qu’il faut soutenir le parrainage privé, «qui enlève une certaine pression sur la première ligne », a soutenu Jean-Nicolas Beuze. S’il souhaite que le moratoire soit levé, il a surtout plaidé pour un programme mixte impliquant à la fois des organismes de la société civile, par exemple ceux oeuvrant auprès des handicapés ou des malades, et le gouvernement, comme le fait, dans le Canada anglais, le Programme mixte des réfugiés désignés par les bureaux des visas.
En rencontre avec le ministre de l’Immigration David Heurtel la semaine dernière, M. Beuze a aussi insisté pour que Québec prenne en charge plus de réfugiés, pointant son recul. Le gouvernement prévoit d’en admettre 1600 en 2018, soit 100 de moins qu’en 2017.