«C’est très fréquent et tout à fait normal»
Ne pas divulguer des preuves à un jury n’est pas exceptionnel, expliquent des avocats
Le verdict rendu au procès de Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali, qui ont tous deux été acquittés des accusations de terrorisme qui pesaient contre eux, suscite de vives réactions depuis mardi. Le fait que les onze jurés n’aient pas eu accès à la totalité de la preuve avant de rendre leur décision en a indigné plus d’un. Pourtant, il s’agit d’une pratique courante en droit criminel, soutiennent deux avocats criminalistes.
Avec l’information dont il disposait, le jury a conclu qu’il était impossible de prouver hors de tout doute raisonnable que le jeune couple avait tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l’étranger ou qu’il avait tenté de commettre un acte au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste.
Ce verdict est fondé sur des preuves circonstancielles présentées en cour pendant les trois mois qu’a duré le procès.
Le jury n’avait ainsi aucune connaissance des preuves recueillies par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) durant l’enquête préliminaire ayant mené à l’arrestation du couple en avril 2015.
Ces preuves, qui étaient sous ordonnance de non-publication jusqu’à vendredi dernier (jour où le jury a commencé ses délibérations), comportaient des éléments potentiellement incriminants pour les deux jeunes adultes, notamment des témoignages de leurs proches, qui n’ont pas été entendus en cour.
«Tout à fait normal»
« C’est très fréquent et tout à fait normal» que des éléments de preuve ne soient pas présentés à un jury ou devant un juge, affirme la criminaliste Véronique Robert.
L’avocat Walid Hijazi confirme ses dires.
«Il est normal en droit criminel que des éléments de preuve soient exclus.» Cela peut s’expliquer de deux façons. « Il y a une question de choix, et une question de légalité de la preuve », dit-il.
Le choix est celui de la poursuite, qui peut dans certains cas estimer qu’elle «n’a pas intérêt à faire revenir un témoin qui s’est rétracté», explique Me Robert. Il s’agit d’un choix stratégique afin de ne pas nuire à sa plaidoirie.
Sinon, un juge peut décider de ne pas porter à l’attention d’un jury une preuve qui ne correspond pas à certains critères d’admissibilité. «Quand une preuve a une valeur probante très faible, les juges vont l’exclure», explique Me Robert.
Règles rigoureuses
Dans le cas du procès Djermane-Jamali, la preuve recueillie lors de l’enquête préliminaire de la GRC était constituée de témoignages des proches des deux accusés. Ceux-ci n’ont pas été présentés au jur y parce que des témoins auraient changé leur version des faits.
« Lors d’un procès criminel, les règles en matière de preuves sont extrêmement rigoureuses et complexes pour assurer l’intégrité du processus », assure Me Hijazi.
Confiance ébranlée envers le système de justice
L’acquittement du jeune couple accusé de terrorisme ne signifie pas que le système judiciaire a failli à sa tâche, estiment Véronique Robert et Walid Hijazi.
Au contraire, «les règles d’admissibilité de la preuve sont là pour éviter de condamner des innocents et pour donner confiance aux citoyens en la rigueur du système de justice pénale, insiste Me Hijazi. C’est pour ça que les règles existent, sinon le processus ne serait pas équitable. »
Si la preuve est jugée inadmissible, «c’est sûr qu’il y a une raison», martèle pour sa part Me Robert, qui ne cache pas son exaspération envers ceux qui «s’en prennent au système de justice chaque fois que quelqu’un est acquitté. [Le système] n’est pas parfait, concède-t-elle, mais il y a des règles de droit ».
Par ailleurs, il est « excessivement rare de nos jours» que des jurys acquittent, assure-t-elle, rappelant que dans le cas Djermane-Jamali, le jury devait être convaincu hors de tout doute raisonnable de leur culpabilité. « Il faut que ce soit la seule conclusion logique. »