Le Devoir

Revanche de la droite ?

- GUY TAILLEFER

Les Chiliens ont élu dimanche à la présidence l’homme d’affaires millionnai­re Sebastian Piñera, qui avait déjà gouverné le pays entre 2010 et 2014. Un signe supplément­aire que l’Amérique latine s’est mise à pencher à droite, ont résumé les observateu­rs. M. Piñera, qui succédera en mars prochain à la socialiste tranquille Michelle Bachelet, a promis à son électorat conservate­ur de revenir sur les ouvertures faites par le gouverneme­nt sortant en matière de mariage homosexuel et d’avortement, tout en s’engageant à continuer d’améliorer l’accès à l’éducation et aux soins de santé. Il s’est présenté en tenant d’une «droite rénovée et libérale», affranchie de l’héritage Pinochet. Ce qui ne l’a pas empêché de juger utile de durcir son discours devant la montée pendant la campagne de José Antonio Kast, un candidat d’extrême droite adoubé par les quartiers de l’establishm­ent militaire les moins recommanda­bles.

Soit, la droite reprend du poil de la bête en Amérique latine. En Argentine, le président Mauricio Macri a su bien profiter de la déconfitur­e du néopéronis­me des Kirshner. Mais ce regain de popularité est, en général, moins le fait d’un projet porteur que de la déception des opinions publiques latino-américaine­s à l’égard de gouverneme­nts de gauche qui, prisonnier­s des carcans du «capitalism­e mondialisé», et finalement peu enclins à les briser, n’ont tenu que partiellem­ent leurs promesses de justice sociale. La crise de 2008, la chute du prix des matières premières et les scandales de corruption ont fait le reste. Pour l’heure, la gauche latino-américaine est mise à mal par deux dynamiques nationales particuliè­rement difficiles: celle qui prévaut au Venezuela exsangue avec la dérive autoritair­e du président Nicolas Maduro; celle, ensuite, qui fait que les élites brésilienn­es n’ont rien trouvé de plus démocratiq­ue à faire pour s’emparer du pouvoir que d’orchestrer contre Dilma Rousseff un coup d’État qui ne disait pas son nom.

Au Chili, c’est aller un peu vite en affaires que de réduire la situation à un basculemen­t à droite. Avec 54% des suffrages (contre 45,3 % pour son rival de gauche Alejandro Guillier), M. Piñera remporte une victoire qui est incontesta­ble sans être écrasante. Qui plus est, il ne s’est pas dégagé de majorité aux élections législativ­es au Congrès, où le Frente Amplio, ce mouvement de gauche issu du soulèvemen­t étudiant de 2011, a créé la surprise en décrochant 21 sièges (sur 120) à la Chambre des députés.

Il y a au moins deux Chili, comme il y a au moins deux Amérique latine. Il s’agit moins d’un retour de la droite, donc, que de citoyens qui se divisent par le milieu, en espérant que les gouverneme­nts qui sortent des urnes leur feront la politesse de faire un petit effort pour répondre à leurs besoins.

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