La communauté internationale doit avoir confiance en l’Autriche
En réponse à l’article intitulé « Il faut mettre le gouvernement autrichien au ban de l’Europe » par Benjamin Abtan, publié dans les pages du Devoir du 19 décembre, je souhaite apporter mon point de vue quant à la récente entrée en fonction du nouveau gouvernement fédéral d’Autriche. M. Abtan appelle en particulier les nations d’Europe à boycotter ledit gouvernement ainsi que la présidence autrichienne de l’Union européenne au deuxième semestre 2018.
Or, comme l’auteur le souligne lui-même, un tel boycottage, dirigé contre un gouvernement issu d’une élection démocratique, avait déjà eu lieu (en l’an 2000). Ce boycottage n’avait aucunement été couronné de succès et fut abandonné après quelques mois. Pendant son application, il avait néanmoins grandement contribué à asseoir, du moins temporairement, la popularité du parti de droite FPÖ parmi la population autrichienne. Ce n’est qu’après la levée des « sanctions » contre l’Autriche qu’un déclin perceptible du parti dans l’opinion devint perceptible.
Il est, à mon sens, compréhensible que la participation du FPÖ dans le gouvernement fédéral de l’Autriche suscite des inquiétudes en Europe et dans certaines parties du monde. En même temps, il me semble indispensable de juger avant tout en vertu de ses actes un gouvernement qui s’est donné une orientation expressément proeuropéenne et a délibérément inscrit son action dans le respect des droits fondamentaux.
Il me semble également nécessaire de répondre à certains clichés — décidément pérennes — que M. Abtan reproduit dans ses propos. En particulier, son assertion que l’Autriche aurait failli à son devoir de mémoire quant à la période du national-socialisme, et manqué d’assimiler les leçons de l’histoire du XXe siècle et en particulier celles de la Shoah. Si cette affirmation pouvait contenir une part de vérité jusque dans les années 1980, il est tout simplement inexact de postuler, comme le fait M. Abtan, que l’Autriche n’a pas connu de travail de mémoire sérieux ou même d’affirmer que l’antisémitisme y est en progression.
Responsabilité politique
J’ai été personnellement le témoin de la transformation des années 1980 et 1990, lorsque, durant le débat public sur le passé du président fédéral de l’époque, Kurt Waldheim, il s’est avéré que le mythe de l’Autriche comme «première victime d’Hitler» était devenu intenable. En 1991, dans un discours solennel devant le Parlement, le chancelier fédéral Franz Vranitzky avait reconnu la part de responsabilité de l’Autriche dans les crimes du national-socialisme et présenté des excuses officielles aux victimes et à leurs descendants. Le fait que l’Autriche en tant que telle ait disparu de la carte de l’Europe en 1938 et que de nombreux Autrichiens furent victimes des persécutions hitlériennes, au motif de leurs origines ou de leurs convictions politiques, ne devait en aucun cas masquer celui qu’un nombre bien trop important de nos compatriotes avaient été parmi les auteurs des crimes de ce régime.
Cette réorientation est devenue le principe directeur de la politique de l’Autriche durant le dernier quart de siècle. Tardivement mais sincèrement, l’Autriche a tendu la main aux survivants de l’Holocauste. Des indemnités furent versées aux victimes et à leurs descendants, ainsi qu’aux anciens travailleurs forcés. Le processus de restitution des biens spoliés fut lancé. À ne pas oublier : des centaines de jeunes Autrichiens ont depuis lors participé au service de la Mémoire en travaillant dans des lieux de mémoire de l’Holocauste partout dans le monde, y compris au Québec et au Canada.
Faisant partie de la génération qui a vécu ce changement profond et positif, je me sens en droit d’affirmer qu’il n’y a pas lieu, aujourd’hui, de perpétuer l’idée reçue que l’Autriche n’a pas assumé sa responsabilité historique vis-à-vis des crimes de la période nazie.
Les électeurs du FPÖ, j’en suis convaincu, n’ont aucun intérêt à s’orienter vers ce passé. Le succès électoral de ce parti s’explique d’une part par un certain désenchantement vis-à-vis des piliers traditionnels du système politique autrichien, le parti conservateur (ÖVP) et le parti social-démocrate (SPÖ). D’autre part, à l’instar de nombreux pays d’Europe occidentale et même des États-Unis, les craintes quant au déclin économique, à la perte d’identité et à l’immigration de masse sont très présentes dans l’esprit des électeurs. Ces craintes furent exacerbées par la crise des réfugiés et migrants de 2015-2016. Au faîte de la crise, le nombre d’entrées illégales quotidiennes sur le territoire de l’Autriche avoisinait le total des entrées illégales au Canada sur toute l’année 2017. Si le FPÖ a connu le succès électoral en Autriche, cela s’est produit, non pas à cause de ses liens historiques avec d’anciens nazis, mais bien plus en dépit desdits liens.
L’Autriche est, depuis plus de 70 ans, une démocratie ancrée dans les valeurs de l’humanisme et des droits de la personne et membre de l’Union européenne depuis plus de 20 ans. La communauté internationale peut avoir toute confiance que l’Autriche restera fidèle à ces principes.