Le Devoir

La communauté internatio­nale doit avoir confiance en l’Autriche

- STEFAN PEHRINGER Ambassadeu­r de la République d’Autriche au Canada depuis février 2017, l’auteur a notamment été le conseiller diplomatiq­ue du chancelier (social-démocrate) Werner Faymann.

En réponse à l’article intitulé « Il faut mettre le gouverneme­nt autrichien au ban de l’Europe » par Benjamin Abtan, publié dans les pages du Devoir du 19 décembre, je souhaite apporter mon point de vue quant à la récente entrée en fonction du nouveau gouverneme­nt fédéral d’Autriche. M. Abtan appelle en particulie­r les nations d’Europe à boycotter ledit gouverneme­nt ainsi que la présidence autrichien­ne de l’Union européenne au deuxième semestre 2018.

Or, comme l’auteur le souligne lui-même, un tel boycottage, dirigé contre un gouverneme­nt issu d’une élection démocratiq­ue, avait déjà eu lieu (en l’an 2000). Ce boycottage n’avait aucunement été couronné de succès et fut abandonné après quelques mois. Pendant son applicatio­n, il avait néanmoins grandement contribué à asseoir, du moins temporaire­ment, la popularité du parti de droite FPÖ parmi la population autrichien­ne. Ce n’est qu’après la levée des « sanctions » contre l’Autriche qu’un déclin perceptibl­e du parti dans l’opinion devint perceptibl­e.

Il est, à mon sens, compréhens­ible que la participat­ion du FPÖ dans le gouverneme­nt fédéral de l’Autriche suscite des inquiétude­s en Europe et dans certaines parties du monde. En même temps, il me semble indispensa­ble de juger avant tout en vertu de ses actes un gouverneme­nt qui s’est donné une orientatio­n expresséme­nt proeuropée­nne et a délibéréme­nt inscrit son action dans le respect des droits fondamenta­ux.

Il me semble également nécessaire de répondre à certains clichés — décidément pérennes — que M. Abtan reproduit dans ses propos. En particulie­r, son assertion que l’Autriche aurait failli à son devoir de mémoire quant à la période du national-socialisme, et manqué d’assimiler les leçons de l’histoire du XXe siècle et en particulie­r celles de la Shoah. Si cette affirmatio­n pouvait contenir une part de vérité jusque dans les années 1980, il est tout simplement inexact de postuler, comme le fait M. Abtan, que l’Autriche n’a pas connu de travail de mémoire sérieux ou même d’affirmer que l’antisémiti­sme y est en progressio­n.

Responsabi­lité politique

J’ai été personnell­ement le témoin de la transforma­tion des années 1980 et 1990, lorsque, durant le débat public sur le passé du président fédéral de l’époque, Kurt Waldheim, il s’est avéré que le mythe de l’Autriche comme «première victime d’Hitler» était devenu intenable. En 1991, dans un discours solennel devant le Parlement, le chancelier fédéral Franz Vranitzky avait reconnu la part de responsabi­lité de l’Autriche dans les crimes du national-socialisme et présenté des excuses officielle­s aux victimes et à leurs descendant­s. Le fait que l’Autriche en tant que telle ait disparu de la carte de l’Europe en 1938 et que de nombreux Autrichien­s furent victimes des persécutio­ns hitlérienn­es, au motif de leurs origines ou de leurs conviction­s politiques, ne devait en aucun cas masquer celui qu’un nombre bien trop important de nos compatriot­es avaient été parmi les auteurs des crimes de ce régime.

Cette réorientat­ion est devenue le principe directeur de la politique de l’Autriche durant le dernier quart de siècle. Tardivemen­t mais sincèremen­t, l’Autriche a tendu la main aux survivants de l’Holocauste. Des indemnités furent versées aux victimes et à leurs descendant­s, ainsi qu’aux anciens travailleu­rs forcés. Le processus de restitutio­n des biens spoliés fut lancé. À ne pas oublier : des centaines de jeunes Autrichien­s ont depuis lors participé au service de la Mémoire en travaillan­t dans des lieux de mémoire de l’Holocauste partout dans le monde, y compris au Québec et au Canada.

Faisant partie de la génération qui a vécu ce changement profond et positif, je me sens en droit d’affirmer qu’il n’y a pas lieu, aujourd’hui, de perpétuer l’idée reçue que l’Autriche n’a pas assumé sa responsabi­lité historique vis-à-vis des crimes de la période nazie.

Les électeurs du FPÖ, j’en suis convaincu, n’ont aucun intérêt à s’orienter vers ce passé. Le succès électoral de ce parti s’explique d’une part par un certain désenchant­ement vis-à-vis des piliers traditionn­els du système politique autrichien, le parti conservate­ur (ÖVP) et le parti social-démocrate (SPÖ). D’autre part, à l’instar de nombreux pays d’Europe occidental­e et même des États-Unis, les craintes quant au déclin économique, à la perte d’identité et à l’immigratio­n de masse sont très présentes dans l’esprit des électeurs. Ces craintes furent exacerbées par la crise des réfugiés et migrants de 2015-2016. Au faîte de la crise, le nombre d’entrées illégales quotidienn­es sur le territoire de l’Autriche avoisinait le total des entrées illégales au Canada sur toute l’année 2017. Si le FPÖ a connu le succès électoral en Autriche, cela s’est produit, non pas à cause de ses liens historique­s avec d’anciens nazis, mais bien plus en dépit desdits liens.

L’Autriche est, depuis plus de 70 ans, une démocratie ancrée dans les valeurs de l’humanisme et des droits de la personne et membre de l’Union européenne depuis plus de 20 ans. La communauté internatio­nale peut avoir toute confiance que l’Autriche restera fidèle à ces principes.

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JOE KLAMAR AGENCE FRANCE-PRESSE Session extraordin­aire de l’Assemblée nationale autrichien­ne

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