Le Devoir

Nouveau revers pour Bombardier à Washington

Le départemen­t du Commerce maintient les droits à près de 300 % sur les appareils CSeries

- FRANÇOIS DESJARDINS

Le départemen­t du Commerce américain s’est rangé dans le camp de Boeing mercredi en confirmant les droits compensato­ires et antidumpin­g de près de 300% que l’entreprise de Seattle lui demandait d’imposer sur les avions CSeries que Bombardier vendra aux États-Unis. Ottawa étudie les avenues permettant de contester les gestes de Washington.

La décision définitive, qui sera rendue par la Commission du commerce internatio­nal des États-Unis le 1er février 2018, pourrait avoir pour effet de quadrupler le prix des avions livrés par l’entreprise montréalai­se en sol américain, un des marchés les plus lucratifs au monde.

«La décision repose sur une étude intégrale et non biaisée des faits dans le cadre d’un processus ouvert et transparen­t», a indiqué dans un communiqué le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross.

Déposée au printemps dernier, la plainte de Boeing allègue que Bombardier a pu offrir des appareils CSeries à «prix dérisoire» à Delta en raison d’appuis financiers reçus de la part des gouverneme­nts. Depuis le début du litige, Bombardier affirme que Boeing n’était même pas dans la course pour le contrat, car le constructe­ur de Seattle a quitté ce créneau il y a longtemps et qu’il n’a aucun appareil de la même taille que son CS100, un avion pouvant transporte­r de 108 à 135 passagers.

« Nous restons convaincus qu’à la fin du processus, la Commission du commerce internatio­nal des États-Unis parviendra à la bonne conclusion, à savoir que les avions CSeries profitent à l’industrie aéronautiq­ue américaine, aux compagnies aériennes américaine­s et aux voyageurs américains», a dit le viceprésid­ent aux communicat­ions de Bombardier, Mike Nadolski.

La décision de Washington mentionne le gouverneme­nt du Québec. En octobre 2015, quand la compagnie a frôlé la faillite, Investisse­ment Québec a injecté 1 milliard $US pour prendre 49,5 % du programme CSeries. Quelques semaines plus tard, la Caisse de dépôt et placement du Québec a investi 1,5 milliard $US pour acquérir 30% de la division du matériel roulant, mais Washington convient qu’il s’agit là d’une pratique normale chez les investisse­urs privés. Plus récemment, Ottawa a offert un prêt remboursab­le de 372,5 millions. Depuis le tout début, tous les acteurs affirment que leurs interventi­ons sont conformes aux règles de l’Organisati­on mondiale du commerce.

«Subvention­s déloyales»

Le départemen­t du Commerce a insisté mercredi pour dire que le prix des avions de 100 à 150 places vendus par Bombardier à Delta était de 79,82 % inférieur à leur « juste valeur ». Washington est également d’avis que «le Canada fournit des subvention­s déloyales» de 212,39%. Le premier pourcentag­e est le même que celui annoncé de façon préliminai­re à l’automne, mais le deuxième a été légèrement réduit. Il était de 219,63% au départ.

«Nous examineron­s aujourd’hui les décisions définitive­s pour envisager les prochaines démarches à entreprend­re et évaluer les possibilit­és en matière d’appel», a affirmé la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland. «Nous continuero­ns de soulever cette question au plus haut niveau du gouverneme­nt américain, y compris auprès des élus américains et des représenta­nts de Boeing. »

La ministre Freeland a répété, comme l’ont fait le gouverneme­nt du Québec et le syndicat des machiniste­s au cours des derniers mois, que les droits «causent un grave préjudice punitif aux travailleu­rs de l’industrie aérospatia­le des deux côtés de la frontière », une référence aux fournisseu­rs du programme CSeries situés un peu partout sur le continent.

Contrat avec Delta

La commande de Delta pour 75 avions, un contrat potentiel de 5,6 milliards $US, évoquait une livraison en 2018. Depuis, Bombardier a cédé le contrôle du programme CSeries au géant européen Airbus, qui promet d’ajouter une chaîne de montage à sa propre usine en Alabama pour que les avions de cette nouvelle famille destinés aux clients américains puissent être assemblés aux États-Unis. Cette partie de l’équation a cependant été mise de côté dans le cadre de la présente enquête, car la transactio­n n’est pas finalisée, a indiqué Washington.

Selon le syndicat des machiniste­s, le geste du départemen­t américain du Commerce en «compromet la crédibilit­é» et mine la confiance des travailleu­rs concernant la décision de février 2018. « Espérons que le climat protection­niste du gouverneme­nt Trump qui affecte les institutio­ns fédérales américaine­s n’influencer­a pas le travail de la Commission du commerce internatio­nal des États-Unis. Il en va de l’intégrité de l’ensemble de l’industrie aérospatia­le autant au Québec et aux États-Unis qu’en Europe», a affirmé le coordonnat­eur québécois des machiniste­s, David Chartrand.

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