La réforme Trump devant le test de la réalité
Donald Trump a sa réforme fiscale. Il reste maintenant à cette massive réduction de la charge fiscale des particuliers et des entreprises à passer le test de la réalité.
L’histoire fiscale américaine est truffée d’occasions ratées. Une réduction notoire des impôts se heurte rapidement au mur de la dette, nous rappelle un texte de l’Agence France-Presse (à lire en page B 2) revenant aux expériences républicaines sous Ronald Reagan et sous George W. Bush. Aussi, l’autofinancement selon le principe de l’«évolution dynamique» est d’autant plus utopique que l’économie fonctionne déjà à son plein potentiel et que le taux de chômage est à creux historique.
Selon les estimations retenues, la réduction souhaitée de la charge fiscale atteint les 1500 milliards sur dix ans. Les promoteurs espèrent qu’elle contribuera à ancrer dans la durée la croissance du PIB américain au-dessus des 3%. À l’origine, on misait sur un ajout de quelque 100 points de base à la croissance. On parle aujourd’hui de 30 points, alors que les plus réalistes avancent plutôt 10 à 20 points, sur un PIB de 19 120 milliards $US. Mais même en retenant la nouvelle cible officielle, on peut projeter une récupération d’à peine 40 % sur une décennie, venant d’une croissance économique fonctionnant déjà à plein régime.
La réforme vise aussi tous ces profits des multinationales américaines maintenus à l’étranger, qui se chiffreraient à quelque 2500 milliards. Washington espère les rapatrier d’abord à un taux fédéral préférentiel oscillant entre 8% et 15,5%, selon que le bénéfice expatrié est détenu sous forme d’investissement ou d’espèces. Pour ensuite taxer certains revenus perçus à l’étranger à un taux sous le nouveau minimum fédéral de 21%, et ce, au risque de contrevenir aux conventions fiscales endiguant la double imposition. L’État fédéral devrait récupérer dans un premier temps au moins 220 milliards, estime la Commission mixte du Congrès, 340 milliards sur dix ans, poussant la récupération des 1500 milliards aux deux tiers.
Pour le reste, la réduction du fardeau fiscal des ménages sera vite rattrapée par l’inflation croissante et par la hausse des taux d’intérêt induite par la vigueur économique. Pour les entreprises, l’histoire démontre que les allégements fiscaux offerts servent trop souvent à soutenir des transactions peu productives, comme une rémunération accrue des dirigeants et des actionnaires sous forme de rachat d’actions et de dividende. Ou comme des fusions-acquisitions susceptibles de hausser un endettement déjà record.
Au demeurant, en ramenant le taux fédéral de 35 à 21%, ou le taux combiné fédéral-État autour de 26%, en moyenne, la réforme ne fait que rétablir la compétitivité fiscale des États-Unis par rapport au Canada, par rapport à l’Europe aussi, où le taux moyen est de 23 %. Sans oublier cependant que le taux peut varier de 12,5% à 33,3% dans l’Union européenne. Et que nombre de pays se situent sous le nouveau taux fédéral américain, incitant les multinationales américaines à y rester à des fins d’optimisation fiscale.
Et que la concurrence fiscale est féroce outreatlantique. Le Royaume-Uni se promet d’abaisser le taux d’imposition des sociétés britanniques sous celui des 20 principales économies mondiales d’ici à 2020. Voire menace de le faire
tomber à 10%. La France, avec son 33,3%, vise les 28% et l’Allemagne se retrouve sous pression avec son 30%.
Si, en définitive, les multinationales américaines sortent grandes gagnantes de la réforme, pour les particuliers, elle n’est pas redistributive. Ses retombées favorisent ceux qui paient le plus d’impôt et creusent dangereusement les inégalités. Elle risque de faire exploser le système de protection sociale des Américains les plus pauvres, a dénoncé le rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.
La réforme condamne déjà l’Obamacare. Avec un ratio dette/PIB de 105% appelé à croître sous le gonflement des déficits publics, des programmes sociaux entiers sont menacés.