2017 en 10 tonalités jazz
Regards croisés sur une année jazz comme toujours éclatée
Ainsi est le jazz version 2017: éclaté dans la forme, dans l’esprit et dans le mouvement. Tour d’horizon en dix titres qui couvrent large et ont frappé fort.
1. L’album immémorial: Blue Maqams, Anouar Brahem (ECM). Un disque comme un bijou. Tout est ici affaire de profondeur et de pureté dans les lignes, de rigueur et de liberté dans l’exécution, d’élégance et de richesse dans les textures. Autour du oud de Brahem, on trouve un quartet premium (Holland, DeJohnette) qui navigue avec brio entre le jazz et le système modal de la musique arabe traditionnelle. Pure poésie. (G. B.-C.)
2. L’album plein d’albums : The Centennial Trilogy, Christian Scott (Ropeadope). Le projet de l’année. La trilogie du trompettiste Christian Scott déborde d’idées brillantes et d’explorations stimulantes. The Centennial Trilogy prend appui sur le centenaire du jazz pour faire un état des lieux de sa modernité afro-américaine. Et fidèle à l’esprit du projet de «stretch music» que Scott porte, le musicien ratisse large: fusion soul-jazz nourrie de hip-hop, nu-jazz atmosphérique, sonorités partout texturées, lignes mélodiques en parfaite adéquation des couches percussives. Totalement tonique. (G. B.-C.)
3. L’album gospel: Grace, Lizz Wright (Concord). Hommage à ses racines musicales du sud des ÉtatsUnis, le Grace de l’interprète Lizz Wright exsude le gospel de partout. Elle y chante Toussaint, Charles, Dylan et Sister Rosetta Tharpe avec la même révérence qu’un standard et insuffle une grâce pastorale à Seems I’m Never Tired Lovin’ You, popularisée par Nina Simone. Sa voix ample et fine et ses airs d’église nous avaient mis à genoux lors de son concert au Festival international de jazz l’été dernier. Inspirant et réconfortant. (P. R.)
4. L’album chant: Dream and Daggers, Cécile McLorin Salvant (Justin Time). Cécile McLorin Salvant n’est pas de celles qui tentent de redéfinir le cadre d’expression du jazz vocal. Mais à travers un parti pris pour un certain classicisme, ce sont des qualités rares qui se révèlent: théâtralité de la prestation, mise en valeur du sens des mots, assurance magistrale de la voix, registre sans limite aux deux extrémités de la portée, toujours la juste nuance dans l’émotion. Il y a elle, et les autres. (G. B.-C.)
5. L’album solo: Open Book, Fred Hersch (Palmetto). Le jazz d’aujourd’hui ne manque pas de grands pianistes, mais Fred Hersch fait indéniablement partie de la liste des plus éminents d’entre eux. On le constate ici encore: Hersch est à son meilleur en piano solo, un cadre idéal pour explorer les territoires qu’il affectionne (ces zones de liberté toutes jazz), brouiller les frontières stylistiques, déployer pleinement ces beautés d’harmonies qu’il sait créer, laisser parler tant sa virtuosité que sa vulnérabilité. (G. B.-C.)
6. L’album contemporain: Our Point of View, Blue Note 75 (Blue Note). À l’instar du projet de Christian Scott, celui du supergroupe mis sur pied pour fêter les 75 ans de la maison de disques Blue Note fait le pari de célébrer le passé en regardant loin devant. L’affiche fait presque peur: Glasper, Akinmusire, Loueke, Scott, Strickland et Hodge. Mais les six leaders sont réellement au service de la cause: gros jeu collectif, jazz contemporain souvent incandescent, compositions qui soulignent à la voix les sensibilités artistiques de chacun et la vision commune du groupe. (G. B.-C.)
7. L’album malin plaisir: Druck, Thundercat (Brainfeeder). Bassiste d’abord, auteur-compositeur-interprète ensuite, joyeux drille, enfin. Le Californien Thundercat, collaborateur de Kendrick Lamar et de Kamasi Washington, s’amuse ferme sur son troisième album Drunk, un déroutant alliage de jazz, de funk, de soft rock (sans blague!) et de hip-hop qui déboule sur 23 chansons. Instrumentiste inventif, l’apôtre de George Duke et de Stanley Clarke communique parfaitement le malin plaisir qu’il a à exposer sa vision incongrue et infectieuse du jazz. (P. R.)
8. L’album consensus: Far From Over, Vijay Iyer Sextet (ECM). A-t-on vu un palmarès 2017 sans ce titre dedans? Non. Vijay Iyer fait consensus, encore et toujours. Mais à travers le traditionnel concert d’éloges pour le pianiste, Far From Over se distingue par l’éblouissante puissance qu’il dégage : sextet de feu autour de compositions d’une grande complexité (et d’une virtuosité rythmique soufflante), mais pourtant intuitives aux oreilles. Explosif. (G. B.-C.)
9. L’album jazz de jazz: Passin' Thru, Charles Lloyd New Quartet (Blue Note). Formidable, ce quartet que dirige le saxophoniste et flûtiste Charles Lloyd (Moran, Rogers et Hartland). À 79 ans, Lloyd demeure un des plus brillants — et signifiants — souffleurs du milieu. Sa musique est un puits de lumière: ça entre à plein ciel, voyez-vous. Des éclats coltraniens, du blues, du gospel, du post-bop, des grooves creusés patiemment, des zones de fureur apaisées par le courant de fond méditatif qui distingue toujours Lloyd. (G. B.-C.)
10. L’album québécois: Intersections, Emie R Roussel (Effendi). Bons grooves, compositions étoffées mais jamais enfermées dans la partition, contrastes et textures relevées: la jeune pianiste de Rimouski Emie R Roussel a proposé cette année un album au remarquable dynamisme. Ce jazz à la fois acoustique et électrique intègre avec brio tout un lot d’influences populaires qui donnent une saveur très moderne à l’ensemble. (G. B.-C.)