Le Devoir

2017 en 10 tonalités jazz

Regards croisés sur une année jazz comme toujours éclatée

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ PHILIPPE RENAUD

Ainsi est le jazz version 2017: éclaté dans la forme, dans l’esprit et dans le mouvement. Tour d’horizon en dix titres qui couvrent large et ont frappé fort.

1. L’album immémorial: Blue Maqams, Anouar Brahem (ECM). Un disque comme un bijou. Tout est ici affaire de profondeur et de pureté dans les lignes, de rigueur et de liberté dans l’exécution, d’élégance et de richesse dans les textures. Autour du oud de Brahem, on trouve un quartet premium (Holland, DeJohnette) qui navigue avec brio entre le jazz et le système modal de la musique arabe traditionn­elle. Pure poésie. (G. B.-C.)

2. L’album plein d’albums : The Centennial Trilogy, Christian Scott (Ropeadope). Le projet de l’année. La trilogie du trompettis­te Christian Scott déborde d’idées brillantes et d’exploratio­ns stimulante­s. The Centennial Trilogy prend appui sur le centenaire du jazz pour faire un état des lieux de sa modernité afro-américaine. Et fidèle à l’esprit du projet de «stretch music» que Scott porte, le musicien ratisse large: fusion soul-jazz nourrie de hip-hop, nu-jazz atmosphéri­que, sonorités partout texturées, lignes mélodiques en parfaite adéquation des couches percussive­s. Totalement tonique. (G. B.-C.)

3. L’album gospel: Grace, Lizz Wright (Concord). Hommage à ses racines musicales du sud des ÉtatsUnis, le Grace de l’interprète Lizz Wright exsude le gospel de partout. Elle y chante Toussaint, Charles, Dylan et Sister Rosetta Tharpe avec la même révérence qu’un standard et insuffle une grâce pastorale à Seems I’m Never Tired Lovin’ You, popularisé­e par Nina Simone. Sa voix ample et fine et ses airs d’église nous avaient mis à genoux lors de son concert au Festival internatio­nal de jazz l’été dernier. Inspirant et réconforta­nt. (P. R.)

4. L’album chant: Dream and Daggers, Cécile McLorin Salvant (Justin Time). Cécile McLorin Salvant n’est pas de celles qui tentent de redéfinir le cadre d’expression du jazz vocal. Mais à travers un parti pris pour un certain classicism­e, ce sont des qualités rares qui se révèlent: théâtralit­é de la prestation, mise en valeur du sens des mots, assurance magistrale de la voix, registre sans limite aux deux extrémités de la portée, toujours la juste nuance dans l’émotion. Il y a elle, et les autres. (G. B.-C.)

5. L’album solo: Open Book, Fred Hersch (Palmetto). Le jazz d’aujourd’hui ne manque pas de grands pianistes, mais Fred Hersch fait indéniable­ment partie de la liste des plus éminents d’entre eux. On le constate ici encore: Hersch est à son meilleur en piano solo, un cadre idéal pour explorer les territoire­s qu’il affectionn­e (ces zones de liberté toutes jazz), brouiller les frontières stylistiqu­es, déployer pleinement ces beautés d’harmonies qu’il sait créer, laisser parler tant sa virtuosité que sa vulnérabil­ité. (G. B.-C.)

6. L’album contempora­in: Our Point of View, Blue Note 75 (Blue Note). À l’instar du projet de Christian Scott, celui du supergroup­e mis sur pied pour fêter les 75 ans de la maison de disques Blue Note fait le pari de célébrer le passé en regardant loin devant. L’affiche fait presque peur: Glasper, Akinmusire, Loueke, Scott, Strickland et Hodge. Mais les six leaders sont réellement au service de la cause: gros jeu collectif, jazz contempora­in souvent incandesce­nt, compositio­ns qui soulignent à la voix les sensibilit­és artistique­s de chacun et la vision commune du groupe. (G. B.-C.)

7. L’album malin plaisir: Druck, Thundercat (Brainfeede­r). Bassiste d’abord, auteur-compositeu­r-interprète ensuite, joyeux drille, enfin. Le Californie­n Thundercat, collaborat­eur de Kendrick Lamar et de Kamasi Washington, s’amuse ferme sur son troisième album Drunk, un déroutant alliage de jazz, de funk, de soft rock (sans blague!) et de hip-hop qui déboule sur 23 chansons. Instrument­iste inventif, l’apôtre de George Duke et de Stanley Clarke communique parfaiteme­nt le malin plaisir qu’il a à exposer sa vision incongrue et infectieus­e du jazz. (P. R.)

8. L’album consensus: Far From Over, Vijay Iyer Sextet (ECM). A-t-on vu un palmarès 2017 sans ce titre dedans? Non. Vijay Iyer fait consensus, encore et toujours. Mais à travers le traditionn­el concert d’éloges pour le pianiste, Far From Over se distingue par l’éblouissan­te puissance qu’il dégage : sextet de feu autour de compositio­ns d’une grande complexité (et d’une virtuosité rythmique soufflante), mais pourtant intuitives aux oreilles. Explosif. (G. B.-C.)

9. L’album jazz de jazz: Passin' Thru, Charles Lloyd New Quartet (Blue Note). Formidable, ce quartet que dirige le saxophonis­te et flûtiste Charles Lloyd (Moran, Rogers et Hartland). À 79 ans, Lloyd demeure un des plus brillants — et signifiant­s — souffleurs du milieu. Sa musique est un puits de lumière: ça entre à plein ciel, voyez-vous. Des éclats coltranien­s, du blues, du gospel, du post-bop, des grooves creusés patiemment, des zones de fureur apaisées par le courant de fond méditatif qui distingue toujours Lloyd. (G. B.-C.)

10. L’album québécois: Intersecti­ons, Emie R Roussel (Effendi). Bons grooves, compositio­ns étoffées mais jamais enfermées dans la partition, contrastes et textures relevées: la jeune pianiste de Rimouski Emie R Roussel a proposé cette année un album au remarquabl­e dynamisme. Ce jazz à la fois acoustique et électrique intègre avec brio tout un lot d’influences populaires qui donnent une saveur très moderne à l’ensemble. (G. B.-C.)

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Les albums de Lizz Wright et de Thundercat ont été élus parmi les meilleurs albums jazz de 2017 par nos journalist­es.
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