Le Devoir

Hausse du taux de présence dans les garderies

Québec atteint son objectif, mais à quel prix ? demandent les services de garde

- JESSICA NADEAU

Sous la menace de voir leurs subvention­s fondre comme neige au soleil, la très grande majorité des garderies privées subvention­nées et des centres de la petite enfance (CPE) ont réussi à augmenter leur taux de présence pour atteindre le fameux seuil de 80 % imposé par Québec, révèlent les derniers chiffres du ministère de la Famille obtenus par Le Devoir. Mais pour ceux qui écopent, la facture peut s’avérer salée, dénonce l’Associatio­n des garderies privées du Québec (AGPQ), qui commence à prendre la pleine mesure des impacts financiers sur ses membres.

En 2016, pour lutter contre les «places fantômes», le gouverneme­nt a obligé les garderies privées subvention­nées et les CPE à avoir un taux de présence annuel minimum de 80 %, à défaut de quoi leurs subvention­s seraient amputées. Ils étaient alors nombreux à dénoncer cette mesure, affirmant que c’était pratiqueme­nt impossible d’y arriver et, surtout, hors de leur contrôle, puisqu’ils ne peuvent obliger des parents à amener leur enfant à la garderie.

Mais les premiers résultats, comptabili­sés par le ministère de la Famille, démontrent que l’annonce de Québec a eu l’effet escompté. Ainsi, dans les centres de la petite enfance, le taux de présence moyen est passé de 77,94 % en 2015-2016 à 81,47 % en 2016-2017. Dans les gar-

Une garderie sur sept n’a pas atteint la cible de fréquentat­ion établie par le gouverneme­nt

deries privées subvention­nées, la moyenne est encore plus élevée, passant de 82,63% à 85,2% pour ces deux mêmes années.

Baisse de subvention­s

Malgré tout, ce ne sont pas tous les services de garde qui réussissen­t l’exercice, et plusieurs se retrouvent sous la barre fixée par Québec. Selon le ministère, 13,6% des titulaires de permis ont vu leur subvention de fonctionne­ment revue à la baisse en 2016-2017.

Et bien que la mesure soit en vigueur depuis plus d’un an et demi, ce n’est que maintenant que les administra­teurs de garderies privées subvention­nées en ressentent les effets sur leur financemen­t alors qu’ils reçoivent ces jours-ci confirmati­on de leur subvention finale pour l’année 2016-2017.

«Il y a des services de garde qui réussissen­t, mais certains n’y arrivent tout simplement pas, malgré toute leur bonne volonté, déplore le président de l’Associatio­n des garderies privées du Québec (AGPQ), Samir Alahmad. Par exemple, on a une garderie — une installati­on standard avec 80 places — qui arrive à un taux de présence de 76 %. Dans son cas, la ponction s’élève à près de 20 000 $. Pour un gestionnai­re de garderie, ça représente énormément d’argent. C’est une nouvelle coupe déguisée. »

Au ministère, on précise que «pour 20162017, les diminution­s des subvention­s liées au taux de présence se sont élevées à environ 1,45 million», ce qui représente 0,09% du montant total de subvention de fonctionne­ment versé aux titulaires de permis.

«Oui, ça peut paraître peu élevé, mais c’est réparti sur un petit nombre de garderies, alors c’est un montant important pour chacune d’elle », rétorque l’AGPQ.

Impacts sur le terrain

Samir Alahmad rappelle que près de 70% du budget de fonctionne­ment d’une garderie est dépensé en salaires. «Après toutes les dépenses, à la fin de l’année, il ne reste pas grandchose. 20 000$, ça représente parfois 20% ou même 30 % de ce qui te reste. Ça fait beaucoup, surtout dans un contexte où chaque sou compte. Parce qu’il ne fait pas l’oublier, ça fait quatre ans que le réseau subit des compressio­ns l’une par-dessus l’autre. »

L’associatio­n estime que les impacts commencent déjà à se faire sentir sur le terrain. «C’est malheureux à dire, mais on voit qu’il y a des gens qui commencent à retarder des projets, qui reportent des travaux d’entretien ou l’achat de matériel éducatif et récréatif. »

Les représenta­nts des services de garde demandent à Québec de réduire ses exigences

Un seuil trop élevé

De son côté, l’Associatio­n québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) dit ne pas encore avoir eu d’échos de ses membres concernant les réajusteme­nts de subvention­s. Mais ici aussi, on trouve que le seuil de 80 % est trop élevé. «80%, ça veut dire qu’un enfant peut être absent un maximum de 52 jours par année, précise la directrice générale, Geneviève Bélisle. Quand on calcule qu’un enfant est parti un mois avec ses parents pour les vacances, qu’il va faire quelques vendredis avec grand-maman ou grand-papa et qu’il va être malade un certain nombre de jours, ça va vite…» Sans compter que les treize jours fériés, où les garderies et CPE sont fermés, sont pris en compte dans l’équation.

«Le problème, c’est qu’on n’a aucun contrôle sur ça, on ne peut pas forcer les parents à amener leurs enfants à la garderie juste pour satisfaire aux exigences du ministère, et pourtant, certains commencent à le faire pour ne pas être pénalisés», déplore le président de l’Associatio­n des garderies privées du Québec, Samir Alahmad. Ce dernier rappelle que plusieurs parents retirent leur enfant dès qu’il y a une épidémie de gastro dans l’immeuble, ce qui contribue également à faire augmenter les taux d’absentéism­e. L’associatio­n ajoute que cette pression sur les parents contribue à faire passer de plus en plus de parents vers des services de garde non subvention­nés, qui n’ont aucune exigence en matière de présence.

Samir Alahmad concède qu’il y a peut-être eu de l’abus dans le passé, mais là, le retour du balancier est trop contraigna­nt, juge-t-il. L’associatio­n demande au gouverneme­nt d’abaisser le seuil minimal à 75%, ce qui leur donnerait un peu plus de flexibilit­é.

Mais puisque certains y arrivent, ne pourraient-ils pas tous réussir? «Oui, plusieurs réussissen­t en inscrivant davantage d’enfants que le nombre inscrit sur leur permis, afin de combler les absences prévisible­s. Mais ce n’est pas possible pour tout le monde, ça dépend des régions, et certains services de garde n’arrivent même pas à remplir toutes les places. Et puis, ce n’est pas facile à gérer, et ça a parfois des conséquenc­es négatives lorsque les éducatrice­s se retrouvent avec des enfants de plus dans leur groupe», comme on pouvait le lire dans Le Devoir récemment.

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