Le Devoir

Comment sauver le goût du café ?

- OLGA YURKINA

Le réchauffem­ent climatique n’épargne pas les caféiers. Comment adapter ces arbustes fragiles au changement tout en préservant les arômes de la boisson? La création de nouvelles variétés constitue une partie de la réponse.

Le petit noir qui donne des couleurs à nos matins ne sera probableme­nt plus le même dans quelques dizaines d’années. Des pronostics alarmants se multiplien­t: les changement­s climatique­s menacent la précieuse graine. Industriel­s et scientifiq­ues se mobilisent pour adapter le caféier à ces nouvelles conditions de vie. Avec une mission cruciale: sauver les saveurs fines des arabicas.

Selon le Climate Institute australien, la surface des terres adaptées à la caféicultu­re pourrait être réduite de moitié d’ici à 2050 et les caféiers sauvages risqueraie­nt de disparaîtr­e vers 2080. Une étude des Jardins botaniques royaux de Kew montre qu’en Éthiopie, pays d’origine du café et cinquième producteur mondial d’arabica, près de 60% des zones de production pourraient devenir incultivab­les d’ici à la fin du siècle.

Si les caféiers sauvages disparaiss­ent, une grande diversité génétique sera perdue, notamment pour le développem­ent de nouvelles variétés.

Arbuste sensible

Le caféier est un arbuste fragile et peu de dérèglemen­ts suffisent pour que la qualité et la quantité de la récolte en pâtissent. Le café arabica, originaire des hauts plateaux éthiopiens, se sent bien entre 800 et 2100m d’altitude, à des températur­es entre 18 et 22 degrés avec une certaine alternance de périodes sèches et humides.

Le robusta, plus résistant, comme son nom l’indique, est cultivé dans des zones tropicales jusqu’à 800 mètres d’altitude. Il supporte mieux que l’arabica les températur­es élevées mais est plus sensible à la sécheresse.

«Les températur­es au-dessus de 24 degrés et la sécheresse n’affectent pas seulement la qualité du café, elles facilitent aussi la propagatio­n de certaines maladies vers les régions qui en étaient épargnées», note William Solano, du Centre de recherches sur l’agricultur­e tropicale.

Au Costa Rica, la rouille a ainsi grimpé à 1400 mètres d’altitude. En proie à la sécheresse et aux ravageurs, le Brésil, premier producteur et exportateu­r mondial, a même dû temporaire­ment autoriser cette année l’importatio­n de robusta vietnamien.

Spécialité­s menacées

Avec le réchauffem­ent, le café sera contraint de migrer plus haut. Ce qui pourrait en fait améliorer son goût: «Les arômes et la qualité des arabicas se détérioren­t dans les endroits trop chauds ou trop secs.

Normalemen­t, les hautes altitudes donnent des meilleurs crus, car la saison de la maturation est plus longue et plus fraîche, note Aaron Davis, l’un des auteurs de l’étude sur l’Éthiopie. Mais lorsque les températur­es sont trop basses elles influencen­t le goût de manière négative. »

Malheureus­ement, plus les caféiers grimperont en altitude, moins ils auront de surface à leur dispositio­n. Surtout, ils devront quitter certaines régions qui ont donné naissance aux arabicas de spécialité, qui se distinguen­t, comme les vins, par leur terroir.

Ainsi, l’Éthiopie pourrait perdre son café harrar avec des arômes de myrtille, de mûre et de cardamome. À l’échelle plus large, les variétés traditionn­elles bourbon, typica et caturra sont menacées à cause de leur sensibilit­é à la rouille, estime Peter Baker, expert pour l’initiative Coffee & Climate.

Au goût de chocolat-artichaut

Les entreprise­s de café prennent la menace au sérieux et investisse­nt dans la création de nouvelles variétés d’arabica, plus résistante­s aux aléas climatique­s et aux maladies. Plusieurs nouveautés ont déjà vu le jour.

«Au départ, elles ont été moins appréciées sur le plan gustatif, surtout celles issues des croisement­s avec le timor, hybride naturel d’arabica et de robusta, note le professeur André Charrier, spécialist­e de la caféicultu­re. Depuis, leur qualité s’est beaucoup améliorée.» L’obata tend vers le caramel, la noisette et les fruits secs et iapar59 surprend par son goût de chocolat-artichaut.

L’avenir semble appartenir à la nouvelle génération des hybrides, créés à partir de deux variétés arabica génétiquem­ent éloignées, ce qui assure à la nouvelle plante une vigueur supérieure à celles des parents. Les chercheurs choisissen­t, d’un côté, les variétés robustes, de l’autre, les caféiers sauvages aux arômes subtils.

Les nouveaux hybrides sont prometteur­s au point de concurrenc­er les pures origines arabica et de figurer parmi les gagnants de la Cup of Excellence pour les cafés de qualité. Le centroamér­icano, par exemple, hérite son goût vanillé de la fleur du caféier et développe des arômes de pêche et de cerise.

Cartograph­ie des gènes

Le WCR et d’autres instituts de recherche travaillen­t également sur les croisement­s de l’arabica avec d’autres espèces de café, comme robusta ou encore stenophyll­a, originaire de la Sierra Leone, plus résistants à la sécheresse. Mais le goût reste à maîtriser, car le robusta, avec plus de caféine, est généraleme­nt de moindre qualité.

Enfin, le déchiffrag­e des génomes de l’arabica en 2017 et du robusta en 2014 a ouvert de nouvelles perspectiv­es à la recherche en permettant de s’emparer de telle ou telle caractéris­tique précieuse des deux espèces.

«Cette cartograph­ie précise des gènes va permettre d’identifier, entre autres, les précurseur­s clés de goût et d’arôme présents dans le café vert, qui sont à l’origine de la qualité du café à la tasse», commente Pierre Broun, directeur du Centre recherche et développem­ent Nestlé à Tours.

À l’ombre des forêts

Cependant, tous les spécialist­es s’accordent: ces nouveautés végétales n’ont aucun sens si rien n’est fait pour protéger l’environnem­ent dans lequel poussent les caféiers.

Plusieurs grands acteurs du secteur, comme Illy, Nestlé et Starbucks, ou encore l’alliance Internatio­nal Coffee Partners qui réunit des groupes européens, dont Lavazza et Tchibo, investisse­nt dans les programmes de développem­ent durable.

L’une des solutions les plus en vue serait l’agroforest­erie, ou le retour aux origines du café: «Les meilleurs cafés se développen­t dans leur environnem­ent naturel, des zones humides à l’ombre des forêts, explique Benoît Bertrand, chercheur au Centre de coopératio­n internatio­nale en recherche agronomiqu­e pour le développem­ent (CIRAD).

Pour des raisons de rendement, on a commencé à les cultiver en plein soleil. Ce mode intensif stresse encore plus la plante, ce qu’on essaie de compenser en apportant davantage d’engrais…»

Des nuances exquises

Le projet européen Breedcafs, dont Benoît Bertrand est responsabl­e, doit permettre de sortir de ce cercle vicieux.

«Notre but est de développer des variétés qui auraient les mêmes performanc­es que les cultures en plein soleil en étant moins friandes en énergie. C’est comme les moteurs des voitures: on cherche à les faire de plus en plus puissants et économes en même temps.»

Au menu: croisement­s entre des variétés résistante­s d’un côté et savoureuse­s sauvages de l’autre. Comme geisha, dont le nom n’a rien à voir avec le Japon mais avec une montagne éthiopienn­e, et qui recèle les notes de confiture de goyave ou d’abricot.

Mais tous ces efforts pour sauver le café pourraient devenir caducs si le réchauffem­ent continue, alertent les chercheurs.

«Il y a des limites à tout, prévient Benoît Bertrand. Les plantes ne pousseront pas à 50 degrés. La recherche peut accompagne­r les changement­s climatique­s, mais si l’homme continue à détériorer la planète, nous n’arriverons à sauver ni le café ni les autres espèces. Et même les nouvelles variétés performant­es ne nous aideront pas. »

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