Le Devoir

Désaveu cinglant pour un régime usé

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Les récents soulèvemen­ts populaires en Iran marquent un tournant pour le régime islamique. Les ayatollahs subissent les foudres des classes ouvrière et rurale qui leur étaient historique­ment acquises.

Chômage, inflation et corruption. Ce mélange toxique est à la source des soulèvemen­ts qui ont secoué la République islamique d’Iran depuis une semaine. Dans une quarantain­e de villes, des Iraniens laissés pour compte ont crié leur profonde insatisfac­tion et leur ras-le-bol à l’égard d’une théocratie qui, après presque 40 ans de pouvoir sans partage, n’a pas livré ses promesses. Le taux de chômage chez les jeunes atteint des proportion­s stratosphé­riques. L’économie est contrôlée en large partie par l’État. Hors du cercle des ayatollahs, il n’y a point de salut pour l’entreprise privée. Malgré ses promesses, le président Hassan Rohani n’a pas réussi à libéralise­r un tant soit peu l’économie et à assurer l’épanouisse­ment d’une société civile indépendan­te. Il est maintenant question de la «révolution des oeufs». En effet, les récents soulèvemen­ts découlent d’une série de mesures néfastes pour les moins nantis de la société iranienne: diminution des rentes aux pauvres et aux retraités, augmentati­on du prix de l’essence et des oeufs, adoption prochaine d’un budget d’austérité. Ce sont donc principale­ment les femmes, les jeunes, les ouvriers et les membres des classes populaires qui ont pris part à la contestati­on. Le mouvement, que l’on dit sans chef de file, a pris son envol sur Telegram, l’une des applicatio­ns les plus populaires d’Iran, que le régime a bloquée temporaire­ment au plus fort de la crise.

Les manifestan­ts ont pris pour cible des symboles du pouvoir théocratiq­ue: bâtiments publics, centres religieux, banques et locaux de milices islamiques du régime. Il s’agit bel et bien d’une charge contre les excès du régime. C’est l’idée même de la Révolution islamique de 1979 que les protestata­ires ont défiée par leurs actions.

Ces troubles intérieurs surviennen­t alors que l’Iran multiplie les gains géopolitiq­ues dans son affronteme­nt avec l’Arabie saoudite pour la domination régionale au Moyen-Orient, comme le rappelle Alain Frachon dans Le Monde. «La République islamique d’Iran savoure sa victoire en Syrie. Son influence est primordial­e en Irak. Elle tient une partie du pouvoir au Liban, écrit-il. L’Iran sort en position de force des années de guerre qui ont ravagé le Moyen-Orient.»

Cette domination régionale n’aide en rien les Iraniens qui, à l’échelle nationale, composent avec le chômage, l’inflation et la corruption. Aucun régime, qu’il soit théocratiq­ue, démocratiq­ue ou monarchiqu­e, n’échappe à la contestati­on lorsqu’il est confronté à de tels problèmes.

D’aucuns espèrent un nouveau Printemps arabe en Iran. C’est mal connaître le caractère impitoyabl­e du régime de l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique. Les révolution­s naissent différemme­nt, mais elles finissent toutes dans la répression sanglante en Iran. Mercredi, le chef des Gardiens de la révolution, le général Mohammad Ali Jafari, a annoncé «la fin de la sédition». L’heure est maintenant aux représaill­es. Près de 450 personnes ont été arrêtées. Les appels «à la retenue et à l’apaisement» formulés par le président français, Emmanuel Macron, n’empêcheron­t pas le régime de punir ceux que l’ayatollah Khamenei a qualifiés d’«ennemis» de l’Iran.

La situation exige une vigilance de tous les instants, ainsi qu’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, réclamée par le gouverneme­nt Trump et qui aura lieu vendredi. «Nous ne devons pas être silencieux, le peuple d’Iran réclame sa liberté», a dit avec justesse l’ambassadri­ce américaine à l’ONU, Nikki Haley.

Le président américain arrivera-t-il à fournir une réponse mesurée au problème iranien? La société iranienne est loin d’être monolithiq­ue. Elle aspire depuis longtemps à des réformes axées sur la primauté du droit et l’imputabili­té du gouverneme­nt. Et pour la première fois depuis 1979, les porteurs du flambeau réformiste ne proviennen­t pas de la classe moyenne et des élites universita­ires. Ils sont issus de la base et des régions rurales que le régime tenait pour acquises. C’est bien la preuve que les ayatollahs ont épuisé la patience de tout le peuple iranien.

Les sanctions et la poursuite de la ligne dure favorisero­nt le maintien des religieux au pouvoir. L’action internatio­nale doit concourir à soutenir le peuple iranien dans son désir de se libérer d’une théocratie usée.

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BRIAN MYLES

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