Le Devoir

Accro à Facebook

- FABRICE VIL

Je suis dépendant de Facebook. Pas au point d’être devenu un avatar. Juste assez pour être un peu nerveux dans l’attente des « likes » de ma plus récente publicatio­n. Assez pour garder la fenêtre du site ouverte en permanence sur mon ordinateur, même durant les heures de travail. Assez pour tenir en tout temps mon téléphone à distance d’une laisse. En fait, c’est mon téléphone qui me tient ainsi.

En 2015, je trouvais qu’il n’y avait rien de plus insignifia­nt que Snapchat. En 2018, je suis adepte des Instagram Stories. Tous les jours, je sacrifie un peu de ma présence dans le monde réel pour plus d’attention dans le monde virtuel. Tout ça pour acheter de petites doses de bonheur au rabais. Dopamine, quand tu nous tiens.

Bien sûr, Facebook est un outil spectacula­ire dont je ne pourrais me passer. Ce réseau social me permet d’entretenir des relations qui seraient éteintes autrement. Il s’agit aussi de mon instrument le plus efficace de partage de mes activités et de mes idées. Seulement, je n’avais pas prévu qu’être prisonnier de la plateforme serait la rançon de ses bienfaits.

L’auteur Seth Godin affirme que le problème de la plupart des réseaux sociaux est qu’on n’en est pas le consommate­ur, mais le produit. Ces réseaux sont optimisés pour nous rendre anxieux jusqu’à ce qu’on les utilise à nouveau. Selon Godin, la plupart des gens tombent dans le piège et les regardent «pour une dernière fois», jettent un coup d’oeil ici, publient ça, aiment ceci… Déviant ainsi de ce qu’ils ont à faire d’important.

Les effets néfastes de Facebook ne s’arrêtent pas là. Jamais une seule entreprise n’a eu autant d’impact sur les plans psychologi­que, social et politique à la fois. Des analyses indiquent qu’une utilisatio­n excessive de Facebook causerait des problèmes de santé mentale, que Facebook encourage l’extrémisme et nuit au discours démocratiq­ue, et que la plateforme permet la propagande dans le cadre d’élections. Que voulez-vous de plus ?

Mais Facebook n’est-il pas un progrès des temps modernes? Ne nous méprenons pas: sans commenter plus avant les menaces à la neutralité du Web, soulignons que c’est d’abord Internet qui a porté la révolution numérique et qui a offert des possibilit­és inespérées il y a quelques décennies. Pensons à Wikipédia. Les Facebook, Twitter et Instagram ne sont que des dérivés du pouvoir d’Internet. Bien sûr, ces réseaux sociaux facilitent les communicat­ions et accélèrent la mobilisati­on de mouvements sociaux de façon exponentie­lle. Mais en se satisfaisa­nt de ces avancées, nous ignorons non seulement les effets pervers de ces forums, mais aussi que les données relatives à tous nos faits et gestes qui s’y déroulent, même au nom du progrès, sont détenues par un nombre restreint d’entreprise­s. Ceci est vrai pour les réseaux sociaux tout comme pour les autres géants du Web. Nous jouons dans la cour de Big Brother.

Une poignée d’entreprise­s, dont Facebook, Google, Amazon et Apple, détiennent les données que nous dévoilons volontaire­ment, mais aussi les données relatives à l’ensemble de nos interactio­ns. Facebook détient aussi les données générées sur les applicatio­ns qui l’empruntent aux fins d’inscriptio­n. Mark Zuckerberg est donc au courant des articles que je lis dans Le Devoir, de mes allées et venues sur Uber et de ma vie sur Tinder.

Ces données permettent, grâce à des algorithme­s, de tirer des conclusion­s précises au sujet de nos habitudes de consommati­on ou de nos opinions politiques, par exemple. Le risque que ces données soient utilisées à des fins impropres est majeur.

Je suis bien conscient que ces quelques lignes ne résoudront pas l’ensemble des problèmes liés aux géants du Web. Je crois toutefois que dans l’attente d’une meilleure réglementa­tion à leur égard, je peux moi-même petit à petit faire une utilisatio­n plus responsabl­e du numérique.

J’ai effacé l’applicatio­n Facebook de mon téléphone en novembre 2017. Je pensais alors mourir. Une semaine plus tard, je ne ressentais aucune tentation de télécharge­r à nouveau l’applicatio­n et je consultais déjà moins mon téléphone. Un mois plus tard, j’ai activé sur mon ordinateur une applicatio­n bloquant l’accès à Facebook durant les heures de mon choix. Je n’ai donc accès à Facebook que rarement, et je m’en porte bien.

J’apprivoise aussi l’idée d’effacer mon compte Instagram, mais j’ai peur de ce qui adviendrai­t. Je viens d’interrompr­e la rédaction de ma chronique pour jeter un coup d’oeilsur Instagram. Les trois photos les plus récentes sur mon fil: une humoriste qui mange dans une cafétéria, un couple d’amis devant un hélicoptèr­e et une pub de bonbons. J’ai quand même peur de manquer ce qui se passe sur Instagram… #FOMO.

Quoi qu’il en soit, mon sevrage se déroule assez bien. En ce début d’année 2018, je nous souhaite de nous affranchir un peu plus du téléphone.

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