Le Devoir

Une championne monstre

Margot Robbie brille dans le grinçant Moi, Tonya, sur les déboires de l’infâme patineuse

- FRANÇOIS LÉVESQUE

MOI, TONYA (V.O., S.-T.F. DE I, TONYA)

★★★ 1/2 Comédie satirique de Craig Gillespie. Avec Margot Robbie, Sebastien Stan, Allison Janney, Paul Walter Hauser, Julianne Nicholson. États-Unis, 2017, 121 minutes.

Lors du Championna­t national de patinage artistique américain de 1994, l’une des favorites de la compétitio­n, Nancy Kerrigan, fut frappée à la jambe avec une barre de métal. L’enquête subséquent­e révéla que le conjoint de sa rivale Tonya Harding avait sollicité un ami, qui avait en retour embauché deux malfrats pour accomplir le méfait. Au terme d’un procès retentissa­nt où elle nia avoir été au courant du plan de son mari, Harding fut bannie à vie de la compétitio­n. Le film Moi, Tonya a tiré de son histoire une satire corrosive aux ramificati­ons étonnantes.

Une histoire, il appert, plus compliquée que ce que les manchettes de l’époque rapportère­nt. Comme le remarque d’office Tonya Harding (Margot Robbie), les gens en étaient venus à croire qu’elle avait elle-même attaqué Nancy Kerrigan — croyance populaire dûment mise en images avec une Harding grimaçante de sadisme.

En bonne partie écrit à partir d’entrevues réalisées avec Tonya Harding et son ex Jeff Gillooly (Sebastian Stan), le scénario de Steven Rogers présente des versions des faits souvent diamétrale­ment opposées. L’humour noir dans lequel baigne le film tient pour beaucoup à la juxtaposit­ion desdites versions (chapeau à la monteuse Tatiana S. Riegel).

À l’issue de, voire pendant chacun de ces témoignage­s livrés face caméra par les acteurs, on glisse dans la reconstitu­tion, passant ainsi du faux documentai­re à la docufictio­n.

Brillante Allison Janney

Entre autres exemples, Harding relate les épisodes de violence conjugale qu’elle endura auprès de Gillooly. Lequel, après que ces agressions eurent été montrées de manière très crue, nie tout et raconte avoir plutôt dû fuir les balles de Harding, as du fusil de chasse depuis l’enfance. Occupée à tirer furieuseme­nt sur Gillooly, Harding s’adresse au spectateur en affirmant: «Je n’ai jamais fait ça ! »

De tels bris du «quatrième mur » sont fréquents alors que remarques caustiques et affirmatio­ns douteuses s’enchaînent en aparté. À ce jeu-là, c’est la mère de Harding, LaVona Fay Golden (Allison Janney), qui l’emporte. Posant en mère courage au présent, elle apparaît dès après en virtuose de la violence psychologi­que. Pour qui cela intéresse, les entrevues accordées en guise de démenti par la véritable LaVona Fay Golden ne font qu’illustrer à quel point Allison Janney a brillammen­t su caricature­r son modèle.

Impayable, la vétérante comédienne vole la vedette.

Tout le monde sauf elle

Quoique Margot Robbie, pas en reste, révèle quantité de nuances sous la surface frustre de Tonya Harding, « white trash » et « redneck » autoprocla­mée.

S’il ne cherche pas à minimiser les défauts de cette dernière ou à en faire une martyre, on en veut pour preuve ces clips rapides qui viennent la contredire çà et là, le réalisateu­r Craig Gillespie brosse d’elle un portrait sympathiqu­e. À l’inverse de Nancy Kerrigan, personnage ici tertiaire faisant figure de vile privilégié­e. Pour un peu, ce serait elle, la méchante.

Elle, et la mère de Harding, et son ex. Et les médias manipulate­urs, et l’Associatio­n américaine de patinage, dépeinte sous un jour peu flatteur. Sans oublier le système de justice, qui lui servit une amende de 160 000 $ et une interdicti­on à vie de compétitio­nner après qu’elle eut plaidé coupable à un chef d’entrave à la justice. Comme elle le dit en cour, le patin, c’était tout ce qu’elle avait.

«Pas ma faute!»

Or, corollaire inattendu, en mettant en avant cette vision des choses, le film valide l’un des traits de personnali­té du sujet dont il se moque pourtant le plus souvent. À savoir, cette manie qu’a Harding de répéter à tout bout de champ et sur tous les tons: «Ce n’est pas de ma faute ! »

Avec un brio narratif impression­nant, pour ne pas dire aveuglant, Rogers et Gillespie établissen­t que Tonya Harding en bava sa vie durant, mais sut toujours se relever. Maltraitée, battue, mais championne néanmoins, portée aux nues par des admirateur­s adorateurs qui la conspuèren­t ensuite avec délectatio­n, la voilà qui reparaît, magie du cinéma aidant, comme une héroïne incomprise.

Hilarante sur le coup, la démonstrat­ion laisse, une fois dissipée l’ivresse du rire, un brin perplexe.

V.O.A. : Cinéplex Odéon Forum

Avec un brio narratif impression­nant, pour ne pas dire aveuglant, Rogers et Gillespie établissen­t que Tonya Harding en bava sa vie durant, mais sut toujours se relever

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VVS FILMS Le film Moi, Tonya a tiré de l’histoire de la patineuse une satire corrosive aux ramificati­ons étonnantes.
 ?? VVS FILMS ?? Margot Robbie, pas en reste, révèle quantité de nuances sous la surface frustre de Tonya Harding.
VVS FILMS Margot Robbie, pas en reste, révèle quantité de nuances sous la surface frustre de Tonya Harding.

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