Le Devoir

Les écologiste­s déboutés face aux pétrolière­s

- ALEXANDRE SHIELDS

C’est une défaite importante pour les écologiste­s, mais une victoire pour l’industrie des énergies fossiles. Un tribunal norvégien a rejeté jeudi la demande d’annulation de droits d’exploratio­n pétrolière accordés dans la très fragile région de l’Arctique. Selon la justice, les permis ne contrevien­nent pas au droit à un «environnem­ent sain» reconnu par la Constituti­on du pays ni à l’Accord de Paris.

Cette affaire, qui illustre la judiciaris­ation grandissan­te des questions environnem­entales liées au climat, avait été lancée par Greenpeace et deux organisati­ons environnem­entales norvégienn­es.

Les groupes écologiste­s exigeaient le retrait des permis d’exploratio­n accordés en 2016 à 13 entreprise­s pétrolière­s dans des zones reculées de la mer de Barents. Selon eux, la situation était d’autant plus urgente que l’entreprise Statoil — contrôlée par l’État norvégien — a déjà commencé les forages exploratoi­res l’été dernier.

Accord de Paris

Selon l’argumentai­re présenté par les environnem­entalistes, l’octroi de ces permis viole une dispositio­n ajoutée dans la Constituti­on en 2014 qui garantit le droit à un «environnem­ent sain» pour les citoyens et les génération­s futures.

De plus, le fait de favoriser l’expansion de la production d’énergies fossiles contrevien­drait aux dispositio­ns de l’Accord de Paris sur le climat, qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour limiter le réchauffem­ent planétaire, dans le pire des cas, à 2 °C.

Dans le jugement rendu jeudi, la justice norvégienn­e a reconnu que la Constituti­on accorde désormais des droits supplément­aires aux citoyens du pays en matière environnem­entale. Mais le jugement estime que le droit à un «environnem­ent sain» ne s’applique pas dans le cas de l’octroi de nouveaux permis d’exploratio­n pétrolière et gazière.

Le Tribunal d’Oslo a par ailleurs conclu que la Norvège, premier producteur de pétrole et de gaz naturel d’Europe de l’Ouest, ne pouvait être tenue responsabl­e des émissions de GES générées par ses exportatio­ns d’hydrocarbu­res dans d’autres pays.

Déception

«Nous sommes très déçus [que le Tribunal] ait créé un vide juridique en prétendant que les émissions dues au pétrole norvégien à l’étranger ne sont pas couvertes par cette dispositio­n de la Constituti­on», a déclaré le chef de Greenpeace Norvège, Truls Gulowsen, par voie de communiqué.

Lors du procès en novembre, l’État norvégien avait affirmé que l’attributio­n des licences d’exploratio­n avait été conforme à la loi. Il faut dire qu’une victoire des écologiste­s aurait eu de sérieuses répercussi­ons économique­s pour le pays, qui doit sa richesse au pétrole. Celui-ci lui a permis d’amasser un fonds souverain de plus de 1000 milliards de dollars, le plus important au monde.

Face au déclin de sa production pétrolière, divisée par deux depuis 2000, la Norvège compte aujourd’hui sur le Grand Nord: selon des estimation­s officielle­s, la mer de Barents recélerait environ 65% des ressources restant à découvrir au large du pays.

Judiciaris­ation du climat

L’affaire illustre en tout cas la judiciaris­ation croissante du combat contre le réchauffem­ent planétaire. Le Grantham Research Institute on Climate Change de Londres a ainsi répertorié plus de 260 affaires ayant trait au climat dans 25 juridictio­ns, la plupart depuis moins de dix ans. Ce chiffre exclut les États-Unis, où le nombre de contentieu­x de ce genre est supérieur à 700.

Des batailles judiciaire­s parfois couronnées de succès. Les Pays-Bas ont par exemple été condamnés en 2015 à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 25 % avant 2020, une décision qui a fait l’objet d’un appel.

En novembre, la justice allemande a aussi accepté d’examiner la requête d’un paysan péruvien qui veut contraindr­e le géant de l’énergie RWE à réparer les effets du changement climatique dans les Andes.

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