Le Devoir

Les braises de la dispute canado-américaine ravivées

- JULIEN ARSENAULT

Le bois d’oeuvre a longtemps été une source de discorde entre le Canada et les ÉtatsUnis et la dernière année a ravivé, pour une cinquième fois, les braises de cette dispute commercial­e ayant pris racine dans les années 1980.

Au terme de négociatio­ns infructueu­ses, Washington a imposé des droits antidumpin­g et compensato­ires sur les exportatio­ns canadienne­s qui, selon la Commission américaine internatio­nale pour le commerce (USITC), portent préjudice à l’industrie américaine.

Dans la foulée de cette décision rendue par l’agence américaine le 7 décembre dernier, tout indique qu’un autre long combat se dessine entre les deux parties devant les tribunaux commerciau­x.

En plus de s’être tourné vers l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), Ottawa a fait appel au système de résolution de conflit de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Dans le passé, une bataille similaire devant l’organisati­on internatio­nale établie à Genève s’était étirée sur quatre ans, avant que la conclusion d’un accord temporaire en 2006 ne mette le couvercle sur le différend commercial pendant environ 10 ans.

« L’objectif, pour le Canada, c’est d’aller devant les tribunaux commerciau­x, d’obtenir une décision favorable, ce qui, généraleme­nt, incite les Américains à revenir à la table des négociatio­ns», explique une source au courant des négociatio­ns.

Cette personne, qui n’est pas autorisée à parler publiqueme­nt, souligne que la dispute sur le bois d’oeuvre est loin d’être au coeur des priorités du gouverneme­nt Trump, ce qui fait en sorte que le litige commercial pourrait entrer dans une « phase dormante » en 2018.

Carl Grenier, spécialist­e des conflits sur le bois d’oeuvre et chargé de cours à l’Université Laval, abonde dans son sens.

«Cela risque d’être aussi long que la dernière fois, ce qui est malheureux, dit-il. Lors du dernier conflit, il avait fallu y mettre quatre ans. Il y a manifestem­ent quelqu’un qui se traîne les pieds. Cela vient en partie des États-Unis.»

Malgré les victoires canadienne­s devant les tribunaux commerciau­x, les États-Unis «savent que les producteur­s d’ici ont besoin de leur marché», ce qui, selon M. Grenier, explique l’approche américaine visant à étirer le conflit.

La facture aux Américains

Mais pour l’instant, l’imposition de droits compensato­ires sur les exportatio­ns canadienne­s n’a pas provoqué de débordemen­t des stocks dans les cours à bois ni de mises à pied massives.

Cette situation s’explique essentiell­ement par une demande vigoureuse aux États-Unis ainsi que par une diminution de la production canadienne découlant des incendies de forêt ayant ralenti les activités de nombreuses scieries en Colombie-Britanniqu­e.

Néanmoins, le président du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), Denis Lebel, martèle que le Québec devrait être exempté des droits compensato­ires et antidumpin­g totalisant environ 20% en vertu du régime forestier mis en place en 2013.

«Le système d’enchères a fait monter les coûts de la fibre, explique-t-il. Nous voudrions que les droits soient à zéro. Actuelleme­nt, il y a une forte demande aux États-Unis et nous avons un produit de qualité. »

Même si les États-Unis ont imposé une série de pénalités au Canada, qu’ils accusent de subvention­ner injustemen­t ses producteur­s de bois d’oeuvre en leur accordant un accès aux terres publiques à faible prix, l’industrie canadienne est capable de garder la tête hors de l’eau.

Jusqu’à présent, la hausse des prix a été refilée aux consommate­urs américains.

«Lors du dernier conflit, il fallait absorber la hausse, explique Jean-Pierre Rioux, directeur des opérations chez Marcel Lauzon, une scierie d’East Hereford, dans la MRC de Coaticook, qui compte plus de 50 employés. Si le marché reste comme il est, on ne peut pas trop se plaindre, malgré les taxes. »

M. Rioux souligne toutefois que la situation peut changer rapidement.

Exportatio­ns en baisse en C.-B. et en hausse au Québec

Les exportatio­ns canadienne­s de bois d’oeuvre vers les États-Unis sont en baisse d’environ 6% en 2017 comparativ­ement à l’année précédente, selon des statistiqu­es fédérales analysées par la CIBC.

Les analystes de la banque affirment que le plus grand perdant jusqu’à maintenant est de loin la Colombie-Britanniqu­e, puisque ses exportatio­ns aux États-Unis ont glissé d’environ 33% en partie à cause des incendies de forêt. Les exportatio­ns du Nouveau-Brunswick ont baissé légèrement.

En Ontario et au Québec, les exportatio­ns ont en fait augmenté.

Signe que les scieries québécoise­s parviennen­t à s’en tirer pour le moment, l’enveloppe de 300 millions prévue par le gouverneme­nt Couillard afin de financer entre autres des garanties de prêt n’a pas encore été mise à contributi­on.

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DARRYL DYCK LA PRESSE CANADIENNE Au Québec, les exportatio­ns ont augmenté.

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