Le Devoir

L’acoustique du roman selon Olivier Adam

Le RBO rêveur occupe pour la première fois la scène seul, avec ses personnage­s et sa folie

- ENTREVUE DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Ce n’est (malheureus­ement) pas tous les jours que votre Rock et Belles Oreilles préféré vous passe un coup de fil. L’occasion se présentant enfin, aussi bien en profiter pour évoquer avec lui un moment clé de sa carrière. Pourquoi, donc, vous pointiez-vous jadis sur le plateau de la mythique émission Piment fort vêtu de costumes semblant avoir été empruntés à la garde-robe d’une émission pour enfants particuliè­rement tordue? demande-t-on tout de go à Yves P. Pelletier, malgré un ordre du jour imposant bien d’autres sujets.

«Tu vois, c’est que je venais de tourner Karmina [la comédie d’horreur de Gabriel Pelletier (1996)] et j’avais la moitié de la tête rasée, se souvient-il. Comme je ne pouvais pas apparaître en public avec cette coupe-là, je me mettais une tuque ou un chapeau sur la tête, puis c’est devenu une tradition.» Plutôt que d’avoir l’air fou, pourquoi ne pas carrément faire le fou?

«Dans ma tête, je suis parfaiteme­nt normal», insiste notre interlocut­eur, en entendant le mot folie. «Je te jure que je n’ai jamais cultivé ma candeur ou ma naïveté. C’est tout à fait naturel chez moi. Je te raconte une anecdote, OK ? » Bien sûr.

«Quand j’étais au cégep, il y avait une fille que je trouvais immensémen­t jolie et je tentais maladroite­ment de la draguer. Un jour, j’ai fini par oser lui dire: “Excuse-moi, t’as vraiment de très beaux sourcils.” Et c’est vrai qu’elle avait de beaux sourcils! Mais elle ne m’a plus jamais parlé. Elle m’a regardé comme si j’étais un fou furieux. Dans ma naïveté, j’avais pensé que c’était un beau compliment à offrir.»

Artiste de variétés et fier de l’être

On aura compris que ce n’est pas d’hier qu’Yves P. Pelletier accuse un léger décalage sur ce que le reste de la société appelle la réalité. Une inclinaiso­n à contempler de biais la bibitte humaine grâce à laquelle il deviendra le RBO le plus rêveur et le plus étrange de la bande, sorte de Pierrot la lune sur acide qui ne dédaignera­it pas la satisfacti­on occasionne­lle d’une blague scatologiq­ue.

«Je suis capable d’être ce misanthrop­e au regard extrêmemen­t acerbe, mais je suis, en général, de façon complèteme­nt instinctiv­e, plus du genre à chercher la fleur dans le tas de fumier», confirme-t-il dans ses propres mots, alors que nous arrivons tranquille­ment au sujet dont il fallait discuter ce jour-là : Moi?, un spectacle d’humour coiffé de son propre nom, dont la rentrée montréalai­se arrive à grands pas, et dont l’argumentai­re invite à se réjouir. C’est que, contre toute attente, le curieux touche-à-tout dépoussièr­e enfin ses inoubliabl­es personnage­s de Stromgol l’extraterre­stre et de monsieur Caron.

Né à partir de retailles de blagues écrites pour la minitourné­e The Tounes de RBO, ce premier solo comique en carrière, en plus de permettre à Pelletier d’assouvir son irrépressi­ble envie de se costumer, contraindr­a l’homme plutôt secret à se dévoiler au cours de quelques segments de stand-up traditionn­el. Mais il ne faut pas s’attendre à de grandes révélation­s, prévient celui pour qui le bonheur se trouve autant dans l’émotion que dans des numéros strictemen­t nonos.

«Quand les gens me demandent “qu’est-ce que tu fais dans la vie?” je réponds que je suis un artiste de variétés et j’insiste sur le mot variétés, parce que c’est ce qui me plaît », explique celui à qui l’on doit deux longs métrages (le sublime Les aimants et le sympathiqu­e Le baiser du barbu), deux bande dessinées cosignées à La Pastèque en compagnie des illustrate­urs Pascal Girard et Iris, ainsi que deux saisons d’une émission sur le tourisme responsabl­e à TV5 (Partir autrement).

«Je ne me lasse jamais de regarder Charlie Chaplin et, pourtant, c’est du coup de pied au cul, c’est du clown et, en même temps, j’admire aussi beaucoup un Boucar Diouf qui me fait réfléchir. L’important, dans un spectacle, je pense que c’est le dosage des ingrédient­s. »

L’humour partout sur la planète

Mélomane avisé, enthousias­te lecteur de bédés et grand habitué des salles de spectacles en tous genres, Yves P. Pelletier coanime en 2006 et 2007 à l’antenne de la télé de Radio-Canada le magazine culturel Prochaine sortie. Autrement dit: le vétéran n’est vraiment pas sans savoir que Moi ? grossira en 2018 un marché humoristiq­ue réduisant le mot « sursaturé » au rang d’euphémisme.

«C’est une question éternelle et je comprends qu’on se la pose, même si on ne peut pas faire porter le poids de la place que prend l’humour au Québec sur les épaules des humoristes, plaide-t-il. C’est sûr que de circuler avec un band ou avec un décor, ça coûte cher, c’est difficile. Il faudrait, oui, davantage aider les artistes de théâtre ou de danse à circuler partout en région.»

Très bien. Mais au-delà de ce noble souhait, le globe-trotteur Pelletier observe un peu partout sur la planète une rencontre entre le zeitgeist et ce mode d’expression n’exigeant qu’un micro, une bouteille d’eau et un tabouret, communémen­t appelé humour. «À Mumbai, où je suis allé, la scène du stand-up comique et le réseau des comedy clubs est en totale ébullition. Un peu comme le rap, l’humour a quelque chose de ludique qui permet de toucher à l’écriture, à la performanc­e, à plein de choses. Et puis, c’est facile pour quiconque se pense drôle de monter sur scène et d’essayer.»

Nouvelle preuve que le stand-up, c’est facile et accessible: même les anciens maigres de 56 ans y tentent désormais leur chance.

Moi ?

D’Yves P. Pelletier. Au Monument-National le 17 janvier. À la salle Albert-Rousseau le 30 janvier. En tournée partout au Québec.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR « Je suis capable d’être ce misanthrop­e au regard extrêmemen­t acerbe, mais je suis en général, de façon complèteme­nt instinctiv­e, plus du genre à chercher la fleur dans le tas de fumier », explique Yves P. Pelletier.

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