Les 20 ans de la crise du verglas Autopsie d’un cauchemar de glace
L’ancien p.-d.g. d’Hydro-Québec André Caillé se remémore la tempête qui a mis la société d’État à rude épreuve
Il y a 20 ans, le Québec faisait face à l’une des plus grandes catastrophes naturelles de son histoire. Entre le 4 et le 10 janvier 1998, la tempête de verglas a laissé jusqu’à 100 millimètres de pluie verglaçante sur son passage, plongeant dans le noir plus d’un million d’abonnés d’Hydro-Québec au pire de la crise. Derniers textes d’une série sur cet épisode marquant.
Le président-directeur général d’Hydro-Québec au moment de la tempête de verglas de 1998, André Caillé, est devenu l’un des visages de cette crise sans précédent. Entretien avec un dirigeant qui a craint le pire.
Dans quel état d’esprit étiezvous lors du tout début de la tempête ?
Nous étions inquiets. Avant que la tempête débute, nous avions des rapports météo qui nous indiquaient qu’il y aurait du verglas et que ce ne serait pas quelque chose d’habituel. J’étais à Paris, je suis rentré précipitamment à Montréal et je suis arrivé le 5 janvier. On voyait bien que les précipitations allaient dépasser les limites physiques du réseau et que ça allait être une vraie crise.
Nous sommes tout de suite passés à l’action. L’état d’esprit c’était: il faut agir, il faut faire tout ce que l’on pouvait pour assurer la sécurité des personnes et protéger les biens. Je me souviens d’avoir dit : ce sera la mobilisation générale.
Étiez-vous prêts à répondre à ce genre de crise?
Nous avions une base à partir de laquelle travailler, parce qu’on agit de la même façon lorsqu’il y a n’importe quel épisode de verglas, mais c’est l’ampleur des moyens qui n’était pas la même.
Ce qu’on ne savait pas dans les premiers jours, c’est que la tempête allait porter atteinte à l’intégrité du réseau de transport à haute tension. Normalement, le verglas affecte le réseau de distribution, c’est-àdire les fils qu’on voit dans les rues et qui acheminent l’électricité aux maisons. Mais quand il y a assez de verglas pour que le réseau de transmission s’écroule, ce n’est pas la même affaire. Les gros pylônes ne se reconstruisent pas en une journée.
On redirigeait l’électricité qui nous restait vers Montréal, c’était une préoccupation majeure. Normalement, la ville reçoit 20 000 mégawatts, et ça a diminué jusqu’à 600MW. Quand nous étions rendus à ce niveau-là, il était temps que ça arrête, parce qu’en bas de 600MW, ça aurait été beaucoup plus grave. Il ne fallait pas que la dernière ligne qui venait du nord-est de la ville s’écroule, et elle a résisté. La pluie verglaçante a arrêté juste avant qu’elle ne tombe.
Et à l’extérieur de Montréal?
En Montérégie, c’était vraiment catastrophique. On a fait venir des génératrices et on les a rendues disponibles selon les priorités, en ayant notamment l’objectif de protéger le bétail. Les agriculteurs pouvaient continuer à alimenter leurs animaux, à traire les vaches, la base. Il y a eu des pertes, mais il n’y en a pas eu autant que si on n’avait pas fait tout ça.
Pendant la crise, vous participiez à une conférence de presse quotidienne avec le premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard. Comment vous y preniez-vous pour assurer une présence médiatique tout en gérant les opérations à l’interne?
Je rencontrais les hauts dirigeants d’Hydro-Québec deux fois par jour. Une fois le matin et une autre fois en milieu d’après-midi, 30 minutes avant la conférence de presse. On faisait le point et on établissait des priorités pour les prochaines heures.
Vers 16h, je rejoignais M. Bouchard, on faisait l’état des lieux avec les responsables de la sécurité civile et on faisait la conférence de presse. En tout, ça durait environ une heure, donc le reste du temps, j’étais à mon bureau. Je n’avais pas de mal à concilier les deux, parce qu’en plus, M. Bouchard était dans le même immeuble que moi, dans les bureaux d’Hydro-Québec.
Vous est-il arrivé d’être découragé à un moment ou à un autre?
Complètement découragé, non. Mais il est arrivé un moment, le vendredi 9 janvier, où j’ai fait une prière. Je me suis dit : on a fait tout ce qu’on a pu, mais là, il faut que ça arrête. Et quelques heures plus tard, la pluie verglaçante a arrêté.
Quand on est dans l’action, on ne pense pas au découragement. Tout se passe tellement vite. Ce n’était ni le moment de se décourager ni le temps de faire autre chose. Je ne retournais pas à la maison, je restais toujours au bureau. C’était l’adrénaline à 100 %.
Qu’avez-vous appris de la crise du verglas?
J’ai appris que les Québécois sont très résilients. La raison pour laquelle on a pu passer au travers de la crise, c’est que le contexte était généralement positif parce que les gens s’entraidaient entre famille, amis et voisins.
J’ai aussi appris que la transparence est primordiale. Les conférences de presse n’étaient pas une distraction de mon travail, c’était absolument nécessaire. Parce que si les gens s’étaient mis à critiquer Hydro-Québec, ça ne nous aurait pas aidés. Nos employés donnaient le maximum parce qu’ils étaient encouragés. Quand un monteur de ligne se fait applaudir pendant qu’il prend son café au restaurant, il est pas mal motivé lorsqu’il retourne sur le terrain.
Pensez-vous que les infrastructures d’Hydro-Québec ont été adaptées pour éviter une crise semblable ?
Je pense que oui. On a reconstruit le réseau en le rendant plus solide et en ayant l’objectif de réduire l’impact par dix. Donc si une interruption durait dix jours, elle durerait maintenant un jour.
Nous sommes bien mieux préparés. Il va y avoir d’autres incidents, mais il y en aura beaucoup moins et ils vont être moins dommageables.