Le Devoir

Vivre avec une douleur chronique.

Les groupes d’entraide en douleur chronique se multiplien­t dans la province

- TEXTES: ISABELLE PORTER à Québec

La passagère dans le bus de Muriel: Les groupes d’entraide se multiplien­t au Québec. Constats et solutions: Les médecins ont des ressources pour parfaire leurs connaissan­ces, mais certaines demeurent méconnues.

Le nombre de groupes d’entraide sur la douleur a doublé au Québec en deux ans. Le Devoir a assisté à l’une de leurs rencontres.

Habituée à offrir son aide aux malades, Muriel Marois a vu sa vie bouleversé­e en 2007 quand la douleur chronique a fait irruption dans sa vie. Après s’en être sortie, elle redonne aujourd’hui de nouveau en animant un groupe d’entraide pour ceux qui souffrent.

La rencontre du groupe a lieu dans un petit auditorium de l’Enfant-Jésus à Québec. Une vingtaine de personnes se sont déplacées. «C’est peu, dit Muriel à notre arrivée. C’est à cause du mauvais temps.»

On compte 17 groupes d’entraide de ce genre au Québec. En l’espace de deux ans, leur nombre a doublé.

Âgée de 71 ans, Muriel en fait dix de moins. Assise à l’avant du groupe, elle écoute les interventi­ons aux côtés d’une jeune femme qui souffre de fibromyalg­ie. «N’oubliez pas la ligne de soutien. Vous pouvez appeler en tout temps si vous êtes en détresse. »

Dans une rangée à l’arrière, un homme dans la soixantain­e exprime toute sa frustratio­n. «On ne sait même pas où est rendu notre dossier pour entrer à la Clinique de la douleur. Ça fait quatre ans que j’attends. »

La plupart ne s’épandent pas sur la nature de leur maladie, mais plutôt sur l’état dans lequel elle les plonge. Ils parlent de leurs «deuils», de leur «colère». On a un peu l’impression d’être dans une réunion des alcoolique­s anonymes. Dieu en moins.

«Les gens viennent nous voir quand ils ont un problème insoluble. Ils n’ont pas de médecin ou ils ne savent pas encore trop quel est leur diagnostic… Ils aimeraient entrer à la Clinique de la douleur, mais ne savent pas comment, explique Muriel. Mais ils viennent aussi pour avoir une place où parler. Personne ne veut entendre parler de la douleur. Ce n’est pas un sujet qui est l’fun .»

Un homme évoque ses problèmes de couple. Une femme raconte en avalant ses sanglots à quel point elle se sent jugée par sa famille. «Avec eux, je suis excessivem­ent rabaissée. Pour eux, je suis la grosse BS. Ça ne paraît pas, la douleur. »

Muriel renchérit. «J’ai des amis qui ne comprenaie­nt pas que j’avais mal. Je n’étais pas capable de partager avec eux ce que je partage ici. C’était mal vu que je prenne des opiacés. »

La douleur comme passagère

Pour elle, la douleur aiguë est apparue tout d’un coup en mars 2007. Elle avait 61 ans à l’époque. « Je me suis réveillée en pleine nuit en douleur terrible. J’avais une hernie cervicale qui comprimait la racine nerveuse. C’est une douleur que j’ai déjà placée à 9 sur 10 pour ne pas avoir à dire 10 sur 10… »

Le choc a été d’autant plus brutal qu’elle avait plutôt l’habitude d’être du côté des aidants plutôt que des aidés. Formée en physiothér­apie et en psychologi­e, elle travaillai­t comme intervenan­te sociale en CHSLD. Elle a dû prendre sa retraite de manière anticipée.

«Normalemen­t, une hernie, après trois mois, ça se résorbe. Mais moi, au bout d’un an, j’avais encore très mal. C’était une sensation d’arrachemen­t du bras. C’était vraiment difficile et ça a été très long. »

Contrairem­ent à d’autres, Muriel a pu être vue à la Clinique de la douleur assez rapidement (six mois après son inscriptio­n en 2010). Mais les médecins ont vite constaté qu’ils ne pouvaient pas l’aider et que les infiltrati­ons de cortisone nuisaient plus qu’autre chose. Ils l’ont donc dirigée vers le départemen­t de psychologi­e.

Elle y rencontre le psychologu­e Frédéric Dionne, auteur du livre

Libérez-vous de la douleur. « Il nous disait de nous imaginer qu’on était le conducteur d’un autobus. Et un jour est entré dans l’autobus un passager vraiment désagréabl­e. Lui, c’est la douleur, mais vous n’avez pas le choix de le laisser entrer parce qu’un autobus, ça laisse entrer tout le monde. »

Petit à petit

Bref, il fallait faire avec le passager. «Ça, moi, je trouvais ça très difficile à accepter. Je ne l’acceptais pas.» Alors, elle s’est battue pour trouver un traitement, une solution. «À un moment donné, il nous a présenté la méditation et j’ai découvert que ça avait un impact sur ma douleur. Que moi, je pouvais faire quelque chose pour moi. C’est ce que j’essaie de transmettr­e aux gens dans les groupes. Qu’ils peuvent faire quelque chose pour eux. Pas toujours attendre après le docteur, la psychologu­e… On est capables d’aller puiser en dedans de nous des forces qu’on ne pensait pas avoir. »

Or, la méditation à elle seule n’a pas tout réglé. Graduellem­ent, Muriel s’est remise à bouger, à aller à la piscine. «Après trois ans, j’étais déconditio­nnée physiqueme­nt. » Au départ, elle ne pouvait pas nager et devait se contenter d’agiter les pieds, appuyée sur une frite en styromouss­e, les deux bras ballants.

«Au moins, je faisais quelque chose, je faisais mon sac, j’allais làbas. C’était quelque chose que je faisais pour moi.» Après, elle mettait de la glace, un peu plus de morphine. «Petit à petit, je me suis rendu compte que la douleur était moins forte. Non seulement je me faisais plaisir, mais ça m’aidait aussi.» Des années plus tard, elle a pu faire du crawl.

Depuis, elle a troqué la nage pour un entraîneme­nt en salle trois fois par semaine. Elle ne touche plus à la morphine depuis six ans, mais garde quand même contact avec le groupe d’entraide. Parce qu’elle n’est pas près d’oublier tout ce qui s’est passé. «Ça fait du bien d’arriver dans un milieu où tu n’es pas la seule à vivre ça. On s’aperçoit qu’on a vécu une expérience similaire. C’est facile de se comprendre. »

La plupart ne s’épandent pas sur la nature de leur maladie, mais plutôt sur l’état dans lequel elle les plonge. Ils parlent de leurs «deuils», de leur «colère».

«On ne sait même pas où est rendu notre dossier pour entrer à la Clinique de la douleur. Ça fait quatre ans que j’attends.» Un homme souffrant de douleur chronique, lors d’une rencontre d’un groupe d’entraide à Québec

« Ils viennent aussi pour avoir une place où parler. Personne ne veut entendre parler de la douleur. Ce n’est pas un sujet qui est l’fun.» Muriel Marois, animatrice d’un groupe d’entraide pour les personnes qui souffrent de douleur chronique

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Après s’en être sortie, Muriel Marois redonne aujourd’hui en animant un groupe d’entraide pour les personnes qui souffrent de douleur chronique à Québec.

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