Arts visuels
Une exposition de groupe déconstruit les patterns invisibles qui gouvernent nos vies
Loin d’être innocents, les formes et les motifs qui nous entourent ont une portée qui va au-delà de leur seule apparence. À cette idée connue, la commissaire Chloé Grondeau apporte de la fraîcheur dans l’exposition de groupe Pattern, où elle crée d’agréables surprises en présentant les oeuvres diversifiées d’artistes peu vus au Québec.
Au nombre de neuf, ces oeuvres offrent à la vue des trames auscultées, des motifs à carreaux délurés, des cubes miniatures, des taches répétées, des éclats de verre brisés et même l’icône consacrée d’un grand peintre abstrait. Leurs desseins s’avèrent cependant bien plus que leurs formes. Dans son mot d’introduction, la commissaire Chloé Grondeau dit avoir justement préféré le mot anglais « pattern » pour son titre plutôt que son corollaire français «motif» «pour sa capacité à traduire autant la forme que les enjeux psychologique, sociologique, voire politiques auxquels il renvoie ».
Il est alors curieux de constater que, malgré la référence implicite au titre, l’exposition ne fait nullement allusion au mouvement américain «Pattern and Decoration» et que, par conséquent, elle oblitère les racines féministes de ces stratégies artistiques. Dans les années 1970, des artistes comme Joyce Kozloff ou Miriam Schapiro intégraient dans l’art contemporain les méthodes de l’artisanat et des arts appliqués, bousculant la hiérarchie voulant que ces arts soient mineurs, tout comme les femmes qui, traditionnellement, les pratiquaient. Elles démontraient que, pourtant, il n’y avait pas grand-chose qui séparait ces arts dits péjorativement décoratifs et les grandes abstractions géométriques réalisées par leurs pairs masculins en peinture.
Les pratiques usant de ces stratégies pour leurs enjeux revendicateurs et politiques ne se limitaient pas à ce mouvement. Plus près de nous, les travaux de Joyce Wieland et de Sorel Cohen seraient à citer dans ce créneau, qui a depuis été largement poursuivi et actualisé. Il appartient certes à la commissaire de ne pas avoir voulu inclure des oeuvres découlant de cette veine même si les exemples pullulent. Faut-il pour autant continuer, comme dans le texte de présentation, de faire de «l’Homme» le sujet qui pense le monde ? La langue recèle encore des symptômes tenaces d’une vision patriarcale. Carnaval Hormis ces réserves, l’exposition se défend bien. Ouvert, le parcours sert avantageusement le voisinage des oeuvres, dont plusieurs vidéos, comme celle en introduction du collectif mexicain Galeria Perdída. Dans un cadrage serré, une loupe fouille des images trouvées dans leurs microdétails, révélant le grain de leur trame qui, même à force d’être examinée, reste muette. Regarder devient une entreprise vaine, sinon pour suggérer qu’à l’échelle microscopique, tout se tient en ordre.
Dans la troublante vidéo de Mathieu
Arbez Hermoso, l’image fixe d’un motif abstrait tiré d’un objet du quotidien semble être un prétexte pour la bande sonore. Elle expose, en les croisant, le récit du Nigérian Bolaji Badejo, qui a incarné le premier
Alien du film de Ridley Scott, et des faits sur la colonisation en Afrique. Ces deux évocations de la figure de l’Autre emboîtent les histoires personnelle et collective.
La culture de masse fait également une incursion dans la vidéo amusante du Colombien Iván Argote. Il se mesure à la Croix noire du suprématiste russe Kasimir Malevitch, un des pionniers de l’abstraction, en dansant devant la toile au musée sur une musique de The Cure. Le geste de l’artiste défie l’utopie comme la position canonique de l’oeuvre qui voulait faire de son langage objectif l’outil d’une révolution. La chorégraphie à laquelle s’adonne l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga est faite quant à elle de gestes étudiés inspirés du travail de l’archiviste. Ses mains manipulent le vide, en écho aux objets perdus pendant la révolte des Maji Maji en Afrique orientale allemande, l’actuelle Tanzanie, dont sa famille est originaire.
Pour certains opprimés, le carnaval constitue l’occasion de perturber l’ordre hiérarchique établi. Cette tradition est évoquée dans la vidéo très musicale de l’Autrichienne Ines Doujak, qui montre le rôle joué par les costumes et les masques lors de cette fête déstabilisatrice. La vidéo capte l’attention par son exubérance et son emplacement stratégique au centre de la salle qui permet de la zieuter de plusieurs endroits.
Plus discrètes, les oeuvres de Ken Nicol, d’Adélaïde Fériot, de Tim Messeiller et de Vincent Malassis tirent aussi leur épingle du jeu. Il y a les déclinaisons de cubes en acier de Nicol et le kaléidoscope brisé de Fériot qui semble opposer ordre et chaos, tous deux liés à un processus, sous forme de nouvelles configurations à venir ou d’un tableau vivant ayant eu lieu. Chez Messeiller, la sérigraphie sur toile donne à la sobriété d’un motif l’expression conjuguée de la répétition et de la différence.
Il ne faudra pas manquer de faire jouer le tourne-disque pour écouter la Partition de Vincent Malassis, qui découle de la transposition d’un papier peint signé Bruno Peinado. Son motif visuel n’est pas présenté, mais la version sonore subjugue à elle seule, s’enrichissant du crépitement de l’usure du vinyle.