Le jazz universel de Roswell Rudd
Il y a deux mois, le batteur Ben Riley est décédé. Il y a un mois, ce fut le percussionniste des révolutions musicales Sunny Murray, le producteur George Avakian et la légende Jon Hendricks qui sont tous allés rejoindre le big band que dirige là-haut ou en bas, allez savoir, Duke Ellington. Et voilà que juste avant les Fêtes, on apprenait que le tromboniste Roswell Rudd n’est plus de la partie. Ça fout un coup. Et un mauvais. Très mauvais même. Car…
Car Roswell Rudd fut beaucoup, beaucoup plus qu’un simple tromboniste, voire artiste. Il fut un chercheur au long cours, un messager obstiné, un alchimiste talentueux et courageux. Sur quoi? De quoi? Des musiques du monde. Durant une vingtaine d’années et davantage, Roswell Rudd fut un ethnologue des musiques. Des lunes durant, il fut le principal collaborateur d’Alan Lomax, qui, après avoir établi la topologie du blues, s’attacha à faire l’inventaire des musiques du monde au moyen du système dit « cantometrics » et au développement duquel Rudd participa. Reprenons, dans l’ordre naturel, si l’on peut dire, des choses.
Rudd est né le 17 novembre 1935 à Sharon dans le Connecticut dans une famille d’enseignants. Après des études à l’Université de Yale, il s’installe à New York à la fin des années 1950. Il est alors un tromboniste très versé en dixieland. De l’antiquité du jazz, il sautera dans la mare de l’avant-garde à pieds joints. Autrement dit, sans avoir fait le moindre arrêt en territoire be-bop.
Dans la décennie qui suivit, c’est bien simple, il va participer aux productions phares de la nouvelle vague, qu’on nommait alors la « New Thing». En 1964, il fonde le New York Jazz Quartet et collabore fréquemment avec le poète et dramaturge Amiri Baraka. Il participe à l’enregistrement de Four for Trane d’Archie Shepp, du Liberation Music
Orchestra de Charlie Haden, d’Escalator Over the Hill de Carla Bley, divers albums de Cecil Taylor, Steve Lacy, Bill Dixon, bref, les géants du free jazz, du jazz politique. Il sera de tous les combats avant de grossir les rangs de l’Université du Maine, où il enseignera l’ethnomusicologie pendant une vingtaine d’années.
Au terme de son périple dans les salles de cours, il va reprendre la route des salles de concert et des studios pour mieux confectionner une série de productions magistrales, exemplaires. Par quoi? Par ce souci très prononcé qu’il avait pour la conjugaison des musiques du monde avec l’improvisation collective qui distinguait le dixieland.
Coup sur coup, il va signer des disques où les ballades françaises voisinent les musiques maliennes et donc les instruments qui les caractérisent, les musiques des Caraïbes, de la Mongolie, du Pérou, du Sahara, etc. Ce diable d’homme n’était pas seulement un tromboniste. Il était un intellectuel militant. À l’ère de la peste antiintellectuelle, on tient à préciser que Roswell Rudd fut un grand monsieur. Il était et reste l’incarnation de l’honnête homme. Ave et surtout pas amen!
P.-S. Suggestion: Trombone Tribe sur étiquette Sunnyside Records Pianiste de jazz, enseignant, ex-directeur de la Phonothèque québécoise, Christian Lewis vient de mettre en ligne 20 vidéos qui racontent l’histoire du jazz. Vingt vidéos qui comprennent évidemment une foule de suggestions musicales. Le site All About Jazz a mis en ligne une très longue et passionnante entrevue avec le vétéran tromboniste Julian Priester, qui a joué aussi bien avec Muddy Waters qu’avec John Coltrane ou Dave Holland. Le 12 janvier à 21 h, le réseau PBS va diffuser une émission spéciale, un hommage consacré au chanteur Tony Bennett. Le titre: Tony Bennett: The Library of Congress Gershwin Popular Song. Steve Wonder et Wynton Marsalis seront de la partie. Au programme du magazine Downbeat du mois de février, un dossier consacré au trompettiste Christian Scott, un portrait du saxophoniste ténor Houston Person, les 209 clubs de jazz recommandables de par le monde, plus les chroniques habituelles. Le spectacle de la semaine: Henri Texier, Louis Sclavis et Aldo Romano au Triton à Paris.