Le Devoir

Voyage au bout de l’hiver

Peter Kirby met l’itinérance au coeur d’une histoire de compassion mal placée

- CRITIQUE MICHEL BÉLAIR COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

On se rend moins compte de la particular­ité d’une ville comme Montréal quand on y vit tous les jours. C’est encore plus évident quand on pense à Montréal l’hiver : le froid, la neige, les tempêtes à répétition et la poudrerie sifflant aux coins des rues… Il faut presque l’oeil d’un observateu­r extérieur pour se rendre compte de l’unicité de tout cela. Surtout quand on y rajoute les misérables forteresse­s de carton des sans-abri couchés près des rares sources de chaleur.

Voici un livre étonnant qui raconte la beauté, la poésie et l’effroyable dureté de l’hiver montréalai­s que traverse difficilem­ent la cohorte fantomatiq­ue des itinérants. Et il aura fallu la voix unique d’un Irlandais né à Cork et vivant ici pour nous en faire saisir le relief si particulie­r.

Soulagemen­t permanent

Même si Peter Kirby s’est vu décerner le prix Arthur-Ellis en 2016 pour Open Season, son nom est peu connu. On sait qu’il a fait des études à McGill, qu’il travaille dans un célèbre bureau d’avocats montréalai­s et qu’il est spécialist­e du droit internatio­nal. Rien qui laisse deviner qu’il peut décrire aussi bien le ballet des souffleuse­s et des camions de déneigemen­t dans les grandes artères du centre-ville…

Son histoire s’amorce autour de la période des Fêtes, alors qu’on se met à trouver, dans le métro ou près des bouches de chaleur du centrevill­e, les cadavres de plusieurs sansabri. Rapidement, on découvre qu’ils ont tous été empoisonné­s au cyanure de potassium, et l’inspecteur-chef Luc Vanier est chargé de l’enquête. Il suivra d’abord la piste des refuges où mangent et dorment parfois les itinérants quand la pression de l’hiver se fait trop forte; au chevet de ces miséreux, une armée de bénévoles tente de diminuer leur souffrance. Un de ceux-là semble même avoir décidé d’y mettre littéralem­ent fin ; à jamais.

Dans ce petit milieu fermé, l’équipe de Vanier trouvera plein de profiteurs et de magouilles en tous genres, comme si la vie des sansabri n’était pas déjà difficile; peu à peu, les indices s’accumulent et malgré les embûches, il parviendra à mettre la main sur les coupables. Avec ses vulnérabil­ités, le personnage de l’inspecteur Vanier est fort crédible, de même que tous les gens qui l’entourent et qui ne sont pas là seulement pour donner la réplique. On espère le revoir puisque c’est lui qui mène aussi l’enquête dans Open Season… qui n’a toujours pas été traduit.

La grande surprise toutefois vient de la qualité de l’écriture de Peter Kirby — rendue de façon exceptionn­elle par sa traductric­e. On sera frappé par le caractère incisif, précis et profondéme­nt original de l’auteur, qui se permet de fouiller ce sujet difficile en l’abordant vraiment de front, sans compromis. Avec les premières neiges qui s’installent, c’est le moment idéal pour plonger dans cette histoire qui ne pourra que vous surprendre.

Vivement la suite !

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Vague d’effroi témoigne de la vie des sans-abri compliquée par la saison froide.
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★★★ 1/2 Peter Kirby, traduit de l’anglais par Rachel Martinez, Éditions Linda Leith, Montréal, 2017, 310 pages
Vague d’effroi ★★★ 1/2 Peter Kirby, traduit de l’anglais par Rachel Martinez, Éditions Linda Leith, Montréal, 2017, 310 pages

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