Le Canada, une Belgique inversée ?
Des chercheurs canadiens et étrangers s’interrogent sur deux biculturalismes touchés différemment par l’hégémonie des élites
On se doutait que la situation linguistique et culturelle belge était différente de celle du Canada. Un ouvrage collectif, Les élites et le biculturalisme, le confirme en montrant que celle-ci ressemble à l’inverse à celle-là. Historiquement, en Belgique, la langue prestigieuse reste le français, car le flamand y a subi une longue humiliation. L’hégémonie d’une autre culture a plutôt épargné les Canadiens français en comparaison des Flamands.
Malgré une flamandisation, c’est-àdire une néerlandisation, tant linguistique que culturelle, de la Belgique, phénomène observable depuis plusieurs décennies, les faits exposés par Guillaume Durou sont éclairants. Le docteur en sociologie de l’UQAM fait une brillante comparaison entre les situations belge et canadienne aux XIXe et XXe siècles.
Il nous aide à comprendre l’état actuel d’une Belgique où les 60% de néerlandophones et les 38% de francophones se trouveraient à un tournant de leur rivalité séculaire. Cela relie à des problèmes brûlants le livre dirigé par le Québécois Alex Tremblay Lamarche et le Belge Serge Jaumain, auquel, de part et d’autre de l’Atlantique, ont collaboré 12 chercheurs.
Depuis la création de la Belgique en 1830 comme État indépendant affranchi des Pays-Bas, on assiste, explique Durou, «à la naissance d’une élite “hégémonique”, caractérisée par la francisation de la Flandre, où le français incarne les valeurs de la citoyenneté belge». Le sociologue souligne la valorisation de cette langue dans la capitale: «À Bruxelles plus particulièrement coexistaient une bourgeoisie flamande francisée et une bourgeoisie d’origine française. »
De 1825 à 1850, dans la région qui forme la Belgique actuelle, l’élite est francophone en Wallonie comme en Flandre, alors que la langue nationale, le néerlandais, est parlée » par les 5/8 de la population EXTRAIT DE LES ÉLITES ET LE BICULTURALISME
Au Canada, notamment en Ontario, où les Canadiens français, venus du Québec pour y améliorer leur sort, étaient minoritaires et souvent sous-scolarisés, très peu ont songé à valoriser le français comme idiome de prestige social. Ceux qui le parlaient rêvaient surtout de survivance culturelle.
Durou en est conscient en présentant William Henry Moore, député libéral ontarien à Ottawa, comme une exception anglophone lorsque celui-ci défend en 1918 les Franco-Ontariens contre l’élite anglo-protestante assimilatrice de Toronto. D’autre part, Brian Young, autre collaborateur du livre, signale que les Taschereau, l’une des familles les plus prestigieuses de l’histoire du Québec, n’ont guère contesté la domination britannique sur ceux qui parlaient leur langue.
Dès 1776, Charles-Antoine Taschereau conseille à son frère: «Range-toi vers le parti le moins dangereux.» Il témoigne d’une élite de langue française qui, contrairement à celle de la Belgique, n’assimile pas le rival, mais s’incline devant lui. Qui dit langue dit pouvoir. Or le flamand et tant d’autres langues pâlissent devant l’anglais dominateur, phénomène qui rend le Québec si singulier.