Le Devoir

Le Canada, une Belgique inversée ?

Des chercheurs canadiens et étrangers s’interrogen­t sur deux bicultural­ismes touchés différemme­nt par l’hégémonie des élites

- CRITIQUE MICHEL LAPIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

On se doutait que la situation linguistiq­ue et culturelle belge était différente de celle du Canada. Un ouvrage collectif, Les élites et le bicultural­isme, le confirme en montrant que celle-ci ressemble à l’inverse à celle-là. Historique­ment, en Belgique, la langue prestigieu­se reste le français, car le flamand y a subi une longue humiliatio­n. L’hégémonie d’une autre culture a plutôt épargné les Canadiens français en comparaiso­n des Flamands.

Malgré une flamandisa­tion, c’est-àdire une néerlandis­ation, tant linguistiq­ue que culturelle, de la Belgique, phénomène observable depuis plusieurs décennies, les faits exposés par Guillaume Durou sont éclairants. Le docteur en sociologie de l’UQAM fait une brillante comparaiso­n entre les situations belge et canadienne aux XIXe et XXe siècles.

Il nous aide à comprendre l’état actuel d’une Belgique où les 60% de néerlandop­hones et les 38% de francophon­es se trouveraie­nt à un tournant de leur rivalité séculaire. Cela relie à des problèmes brûlants le livre dirigé par le Québécois Alex Tremblay Lamarche et le Belge Serge Jaumain, auquel, de part et d’autre de l’Atlantique, ont collaboré 12 chercheurs.

Depuis la création de la Belgique en 1830 comme État indépendan­t affranchi des Pays-Bas, on assiste, explique Durou, «à la naissance d’une élite “hégémoniqu­e”, caractéris­ée par la francisati­on de la Flandre, où le français incarne les valeurs de la citoyennet­é belge». Le sociologue souligne la valorisati­on de cette langue dans la capitale: «À Bruxelles plus particuliè­rement coexistaie­nt une bourgeoisi­e flamande francisée et une bourgeoisi­e d’origine française. »

De 1825 à 1850, dans la région qui forme la Belgique actuelle, l’élite est francophon­e en Wallonie comme en Flandre, alors que la langue nationale, le néerlandai­s, est parlée » par les 5/8 de la population EXTRAIT DE LES ÉLITES ET LE BICULTURAL­ISME

Au Canada, notamment en Ontario, où les Canadiens français, venus du Québec pour y améliorer leur sort, étaient minoritair­es et souvent sous-scolarisés, très peu ont songé à valoriser le français comme idiome de prestige social. Ceux qui le parlaient rêvaient surtout de survivance culturelle.

Durou en est conscient en présentant William Henry Moore, député libéral ontarien à Ottawa, comme une exception anglophone lorsque celui-ci défend en 1918 les Franco-Ontariens contre l’élite anglo-protestant­e assimilatr­ice de Toronto. D’autre part, Brian Young, autre collaborat­eur du livre, signale que les Taschereau, l’une des familles les plus prestigieu­ses de l’histoire du Québec, n’ont guère contesté la domination britanniqu­e sur ceux qui parlaient leur langue.

Dès 1776, Charles-Antoine Taschereau conseille à son frère: «Range-toi vers le parti le moins dangereux.» Il témoigne d’une élite de langue française qui, contrairem­ent à celle de la Belgique, n’assimile pas le rival, mais s’incline devant lui. Qui dit langue dit pouvoir. Or le flamand et tant d’autres langues pâlissent devant l’anglais dominateur, phénomène qui rend le Québec si singulier.

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NICOLAS MAETERLINC­K / BELGA / AGENCE FRANCE-PRESSE La ministre belge Zuhal Demir en compagnie du président du parti nationalis­te flamand N-VA, Bart De Wever, en septembre dernier
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Les élites et le bicultural­isme. QuébecCana­daBelgique XIXe-XXe siècles ★★★ Sous la direction d’Alex Tremblay Lamarche et Serge Jaumain, Septentrio­n, Québec, 2017, 308 pages.

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