Guevara derrière le Che
Samuel Farber démystifie l’image de révolutionnaire honnête et dévoué à l’origine du mythe
L’année 2017 a marqué le cinquantenaire de l’assassinat en Bolivie du guérillero latino-américain Ernesto Che Guevara sur ordre du gouvernement bolivien et de Washington. Grande figure de la révolution cubaine de 1955 à 1959, il a suscité à travers le monde la vénération d’une gauche idéaliste. D’origine cubaine, installé aux États-Unis, Samuel Farber, lui-même de gauche, démystifie «un révolutionnaire honnête et dévoué » mais irréaliste.
Le politologue est conscient que Che Guevara (1928-1967), par son anticapitalisme, son internationalisme, la distance critique qu’il garda vis-àvis de la bureaucratie des régimes communistes et son sens du sacrifice personnel pour la cause sociale, continue d’exercer un attrait auprès des jeunes militants de partout. Mais il déplore le fait que le médecin, issu pourtant en Argentine de la bourgeoisie bohème et antiautoritaire, «ne fut ni libertaire ni démocratique» et que sa pensée « excluait toute idée de pouvoir des travailleurs ».
Même si Farber n’insiste pas làdessus, le haut lignage du révolutionnaire en faisait, dès sa naissance, l’adversaire fabuleux du néocolonialisme que les États-Unis exerçaient presque invisiblement sur toute l’Amérique latine. Descendant du rebelle irlandais Patrick Lynch qui, né en 1715 et réfugié dans la future Argentine, s’était allié à l’élite locale, le Che avait déjà, du moins aux yeux des romantiques et de son propre père, le destin d’un héros celtique dressé contre la domination anglo-saxonne.
À l’occasion du cinquantenaire de sa mort tragique et contre toute attente, l’Irlande a d’ailleurs émis un timbre-poste à son effigie. Le culte international persistant voué au Che n’empêche pas le lucide Farber de montrer que l’idée du guérillero d’étendre l’esprit de la révolution cubaine à l’ensemble de ce que l’on
À certains égards, 50 ans après son assassinat, le Che apparaît plus important » que Fidel et Raúl Castro EXTRAIT DE CHE GUEVARA. OMBRES ET LUMIÈRES D’UN RÉVOLUTIONNAIRE
appelait encore le tiers-monde avait quelque chose d’insensé.
Les échecs du révolutionnaire latino-américain dans un Congo sans base insurrectionnelle conscientisée et dans une Bolivie sans secours matériels pour des guérilleros improvisés, contraints de quitter travail et famille afin de combattre, tenaient d’un aveuglement qui le mènera au tombeau. Derrière ces tentatives, Farber discerne l’influence de l’écrivain américain Edward Bellamy (1850-1898), auteur du roman utopiste Looking
Backward, que le Che admirait. Voilà une vision qui s’inspire, explique le politologue, du modèle militaire, hiérarchique et axé sur une élite qui veille sur la «communion de la ruche». Malgré cet autoritarisme étouffant, le très imparfait Che Guevara se range parmi les artisans de l’émancipation de l’Amérique latine pour le meilleur et parfois pour le pire. L’homme vaut plus par l’image que par la réalité. Mais, assassiné à 39 ans, il reste jeune pour toujours. C’est déjà immense.