Le Devoir

Des copeaux de bois plutôt que du sel pour déglacer les routes?

Une compagnie d’ici propose une solution de rechange au sel traditionn­el, nocif pour l’environnem­ent

- ANNABELLE CAILLOU

Consciente­s de l’impact environnem­ental négatif des sels de voirie, utilisés pour déglacer les routes en hiver, des municipali­tés québécoise­s se tournent de plus en plus vers des méthodes de remplaceme­nt pour rendre les trottoirs et routes sécuritair­es sans pour autant endommager la faune, la flore et le milieu aquatique.

Après le jus de betterave, le sirop de maïs ou encore le sable, plusieurs municipali­tés québécoise­s répandront sur leurs routes cet hiver des copeaux de bois imbibés de chlorure de magnésium. Une solution de rechange au sel de déglaçage, considéré comme une «substance toxique» par la loi canadienne sur la protection de l’environnem­ent.

Le produit fabriqué depuis deux mois par la compagnie Technologi­es EMC3, installée à Joliette, s’inspire d’une initiative de la Suisse, qui utilise depuis huit ans déjà les copeaux de bois sur ses trottoirs, pistes cyclables et routes comme antidérapa­nts.

«C’est un produit 100% biodégrada­ble qui a un pH neutre donc avec moins de risque de polluer les cours d’eau. Et ce n’est pas comme si on pouvait manquer de copeaux de bois au Québec», assure le président de la compagnie, André Prévost.

Cet hiver, le produit sera testé dans plusieurs villes à travers la province. Des commandes sont sur le point d’être livrées à Rosemère et à Lanoraie, près de Montréal, ou encore à Granby, en Montérégie. Des particulie­rs ont aussi passé commande, et M. Prévost compte bien approcher les quincaille­ries pour faire adopter son produit par un plus grand nombre de personnes.

Cette technique sera également testée dans les prochaines semaines sur la piste cyclable du pont Jacques-Cartier, qui relie Montréal à sa rive sud. Fermée l’hiver, car jugée trop dangereuse pour les usagers, la piste fera l’objet d’un projet-pilote cette année pour mettre à l’épreuve différente­s méthodes de déneigemen­t et de déglaçage.

«Actuelleme­nt, on a retenu au moins quatre produits à essayer, dont les tapis chauffants et les copeaux de bois, mais on a encore d’autres types de déglaçants sous forme liquide ou granulaire

qui contiennen­t moins de chlorure de sodium qui sont à l’étude», explique Cathy Beauséjour, conseillèr­e en communicat­ion pour la société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée.

Le chlorure de sodium que l’on retrouve dans le sel de déglaçage a tendance à endommager la structure d’acier du pont. Même sur les routes traditionn­elles, on constate que le sel perd ses propriétés déglaçante­s à environ -15° Celsius en plus de s’accumuler dans les sols et les puits d’eau potable lors de la fonte des neiges.

«Le sel a un impact sévère sur la flore. On le voit rien qu’aux alentours des autoroutes, où la végétation n’est vraiment pas dans un bon état à cause des fondants ou des abrasifs appliqués sur les routes», fait remarquer Marc Olivier, chimiste spécialisé en environnem­ent à l’Université de Sherbrooke.

Contrairem­ent au sel, les copeaux de bois n’atteignent pas la nappe phréatique et ils n’endommagen­t ni le béton ni l’acier des ponts, souligne André Prévost.

D’une longueur de 5 à 20 millimètre­s, les petits morceaux de bois s’incrustent dans la neige et peuvent tenir pendant 6 jours, et jusqu’à une températur­e de -30° Celsius, grâce au chlorure de magnésium dont ils sont imbibés, assure M. Prévost.

En Suisse, une fois l’hiver passé, les copeaux de bois sont récupérés comme compost, utilisé pour chauffer les logements l’hiver suivant.

S’il reconnaît que son produit s’avère plus cher que le sel, M. Prévost estime que, pour une même quantité vendue, les copeaux de bois permettron­t de recouvrir jusqu’à quatre fois plus de surface que les sels de voirie et dureront plus longtemps.

«Sans oublier les économies que l’on pourrait faire en déneigeant moins les trottoirs, par exemple, puisque ça s’utilise sans problème sur la neige tassée comme abrasif, plutôt que fondant », précise M. Prévost.

De son côté, Mélanie Deslongcha­mps, directrice de l’Associatio­n pour la protection de l’environnem­ent du lac SaintCharl­es et des Marais du Nord (APEL), se questionne quant à l’efficacité des copeaux de bois. «Comme les autres abrasifs tels que le gravier et les petites roches, ça se retrouve souvent sur les bords des routes [après le passage des voitures]. »

L’organisme s’inquiète de plus en plus de l’impact des méthodes de déglaçage en vigueur dans la province. Dans la région de Québec, l’APEL a constaté des taux de salinité importants dans l’eau des lacs et des rivières, dont le lac Saint-Charles qui est la principale source d’eau potable des habitants de Québec. De plus, de nombreuses espèces aquatiques ne peuvent survivre dans de l’eau salée et sont donc menacées.

En décembre dernier, l’organisme a donné pour la première fois une formation de sensibilis­ation à près d’une trentaine d’entreprene­urs dans le domaine du déneigemen­t. «Mais ils font juste remplir leur mandat. C’est auprès des municipali­tés, des politicien­s, des ministères qu’il faut directemen­t agir», croit Mme Deslongcha­mps.

Et les écoroutes?

À ses yeux, les méthodes de remplaceme­nt utilisées à travers la province n’ont «pas fait de miracle». «La plupart des produits comportent un minimum de sel, le jus de betterave aussi en plus du sucre qui aura aussi un impact sur la qualité de l’eau», note Mme Deslongcha­mps.

La solution repose plutôt sur un changement de comporteme­nt des citoyens. Elle donne pour exemple les écoroutes d’hiver, sur lesquels sont essentiell­ement répandus des abrasifs plutôt que des fondants pouvant contenir du sel. Il en existe une quinzaine dans la province. Elles sont toutefois surtout situées en milieu rural où la vitesse est limitée à 90km/h et moins, puisque ce type d’abrasif demande que les automobili­stes adoptent une conduite considérab­lement plus lente. «Ça ne peut pas fonctionne­r sur lesautorou­tes», regrette Mme Deslongcha­mps.

Le chimiste Marc Olivier se montre aussi favorable à ces « routes blanches ». « Au temps des calèches, on écrasait la neige au lieu de l’enlever. C’est quand on a décidé qu’on était une société moderne avec des voitures qui demandaien­t plus de place pour des stationnem­ents qu’on a décidé de faire disparaîtr­e la neige et d’étaler du sel partout.»

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Sur les routes asphaltées, le chlorure de sodium perd ses propriétés déglaçante­s à environ -15° Celsius en plus de s’accumuler dans les sols et les puits d’eau potable lors de la fonte des neiges.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les copeaux de bois permettrai­ent de recouvrir jusqu’à quatre fois plus de surface que les sels de voirie et dureraient plus longtemps.

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