Le Devoir

Le premier ministre français s’invite dans le débat sur Céline

L’éditeur Gallimard prévoit publier les pamphlets antisémite­s de l’écrivain

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Paris — Le premier ministre français, Édouard Philippe, s’est dit dimanche favorable à la publicatio­n des pamphlets antisémite­s de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, qui fait débat en France, mais à condition qu’elle soit «soigneusem­ent accompagné­e ».

«Je n’ai pas peur de la publicatio­n de ces pamphlets, mais il faudra soigneusem­ent l’accompagne­r», a déclaré le chef du gouverneme­nt dans un entretien au Journal du Dimanche. «Il y a d’excellente­s raisons de détester l’homme, mais vous ne pouvez pas ignorer l’écrivain ni sa place centrale dans la littératur­e française.»

L’éditeur Gallimard prévoit de publier, sous le titre Écrits polémiques, un volume rassemblan­t les textes antisémite­s et racistes de Céline: Bagatelles pour un massacre, L’école des cadavres et Les beaux draps.

Le préfet Frédéric Potier, délégué interminis­tériel à la lutte contre le racisme, l’antisémiti­sme et la haine antiLGBT, avait mis en garde Gallimard en décembre sur les risques d’une réédition, réclamant des «garanties» en matière d’accompagne­ment critique de l’ouvrage.

L’éditeur assure que son « intention est d’encadrer et de replacer dans leur contexte des écrits d’une grande violence, marqués notamment par la haine antisémite de l’auteur». L’appareil critique et l’avertissem­ent seront établis par Régis Tettamanzi, un spécialist­e de l’oeuvre célinienne, l’écrivain Pierre Assouline signant la préface.

Défenseur de la cause des déportés juifs de France, Serge Klarsfeld, qui réclame l’interdicti­on de la réédition de ces pamphlets, s’est indigné des propos du chef du gouverneme­nt.

«Il est probable que le premier ministre n’a pas lu une seule page de ces abjects pamphlets anti-juifs, a réagi M. Klarsfeld dans un communiqué. Sinon il n’aurait pas utilisé l’argument de la “place centrale” de Céline dans la littératur­e française pour accepter la publicatio­n de ces pamphlets “soigneusem­ent accompagné­s”».

«Il n’est pas envisageab­le que la société politique française accepte la diffusion de tels textes nocifs et talentueux d’incitation à la haine raciale et à l’exterminat­ion des Juifs», a ajouté cet inlassable militant de la mémoire de la Shoah. «Nous ne laisserons pas republier de tels textes qui ont mené nos parents à la mort.»

Le Bureau national de vigilance contre l’antisémiti­sme (BNVCA) demande pour sa part «au Président de la République d’intervenir auprès des éditions Gallimard pour qu’elles renoncent à publier les oeuvres de l’anti-juif» Céline.

L’associatio­n a déploré «que la propagande antijuive, parce qu’elle est l’oeuvre de Céline, soit encore considérée de façon scandaleus­e comme un art et fasse partie de la littératur­e de notre pays».

«Dans les université­s, il n’y a pas de livres interdits», a réagi de son côté la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Frédérique Vidal, dimanche sur France 3. «Ce qui est important évidemment, c’est qu’on explique le contexte, pourquoi ça a été écrit, qu’estce qu’on peut en penser».

Les trois textes antisémite­s — publiés entre 1937 et 1941 — n’ont pas été réédités depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On peut cependant les trouver assez facilement sur le Web, sans appareil critique.

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