Le Devoir

Pour un monorail plus lent, mais plus fréquent

Imaginez la possibilit­é de passer au-dessus des voitures bloquées dans les bouchons

- JULES O’SHEA Départemen­t de génie électrique, École polytechni­que

Le 27 novembre, le premier ministre, Philippe Couillard, a évoqué la possibilit­é de relier Québec et Montréal par un monorail à grande vitesse. Les critiques ont vite reconnu qu’il s’agissait du concept TrensQuébe­c.

Ce concept consiste en un monorail suspendu qui se déplacerai­t audessus de l’autoroute 20 en transporta­nt 60 passagers à 250km/h. Un monorail du type suspendu est un bon choix compte tenu du climat du Québec, car le chariot, auquel la cabine serait suspendue, roule à l’intérieur d’un conduit en forme de «U» inversé, donc à l’abri de la neige et du verglas. À l’opposé, le monorail supporté comme celui construit par Bombardier à São Paulo roule sur une «poutre» (le rail) exposée aux intempérie­s.

Mais pour que le TrensQuébe­c puisse supporter une cabine transporta­nt autant de personnes à une vitesse aussi grande, il lui faudrait une structure très robuste. De plus, en étant superposé à l’autoroute et en se déplaçant à une vitesse plus de deux fois celle tolérée pour les automobile­s, l’accélérati­on dans les courbes atteindrai­t un niveau inacceptab­le pour les passagers tout en exigeant une structure d’autant plus robuste encore que celle exigée par le seul poids des 60 passagers. Son coût serait donc élevé et, sur le plan esthétique, cette grosse structure entraînera­it plus de contestati­on que pour les pylônes de l’Hydro-Québec.

Ce qui serait plus réaliste, et qui fait l’objet de projets sur ses parties constituan­tes par mes étudiants depuis plusieurs années, consiste en un monorail suspendu où circulerai­ent des véhicules au moins dix fois plus petits et deux fois moins rapides que ceux proposés par TrensQuébe­c.

Ainsi ce serait non seulement moins stressant pour la structure qui maintient en place le monorail, mais aussi moins stressant pour les passagers. En effet, on ressent toujours une certaine anxiété quand on ne veut pas manquer le train, l’avion ou le bateau, car le prochain viendra beaucoup plus tard. Par contre, on ne ressent aucune anxiété quand il faut utiliser un ascenseur dans un grand édifice ; il n’y a pas d’horaire à respecter, il suffit d’appuyer sur un bouton quand on est prêt et le temps d’attente est court.

De même, pour le monorail qui fait l’objet de notre recherche, l’utilisateu­r n’aurait qu’à appuyer sur un bouton et tout se passerait pour lui comme s’il s’agissait d’un ascenseur sauf que ce serait dans le plan horizontal plutôt que dans le plan vertical.

Une fois monté dans la cabine du monorail (d’une capacité de quatre ou six personnes), le passager pourrait choisir sa destinatio­n au moyen de boutons comme dans un ascenseur et, comme dans un ascenseur, il ne serait pas nécessaire­ment seul.

On peut déduire qu’aux heures de pointe, il y aurait des centaines de ces cabines qui circulerai­ent sur le réseau du monorail. Toutes seraient commandées par ordinateur pour réguler leur vitesse et leur espacement ainsi que pour procéder à l’aiguillage vers une voie d’évitement et s’arrêter là où quelqu’un est rendu à destinatio­n puis accélérer afin de rejoindre la voie principale de nouveau et s’y insérer entre deux autres cabines se déplaçant à grande vitesse. On voit que ce concept s’apparente au PRT («personal rapid transit») qui a fait l’objet de plusieurs études dans les années 1970.

Le monorail plus réalisable décrit ci-dessus pourrait être érigé au-dessus des autoroutes et des chemins de fer existants. On minimisera­it ainsi les expropriat­ions et en particulie­r les expropriat­ions de terres agricoles.

De plus, il n’y aurait pas le problème du corridor non disponible, comme c’est le cas pour le REM. Par exemple, si un tel monorail était construit au-dessus des voies du Canadien Pacifique (CP) à partir de la gare Windsor, on pourrait se rendre à l’aéroport sans faire un détour par Saraguay comme le fera le REM parce que le corridor permettant de se rendre directemen­t à Dorval est déjà totalement occupé par la route 20, par les voies ferrées du CN et par celles du CP.

De plus, la vitesse de ce monorail n’excédant pas celle tolérée sur nos autoroutes et suivant leur tracé ne produirait pas d’accélérati­on exagérée dans les courbes. Ce serait aussi un moyen, en étageant les voies, d’en ajouter à nos routes congestion­nées.

AutoTransi­t

Il existe encore la possibilit­é de rendre ce concept plus innovateur en troquant les cabines fixes du monorail pour des cabines amovibles. En vue de favoriser davantage l’adoption des voitures électrique­s, les cabines amovibles seraient en fait des voitures électrique­s pourvues d’un dispositif, sur le toit, capable de s’arrimer à un dispositif complément­aire situé au-dessous du chariot du monorail (là où une cabine traditionn­elle est habituelle­ment fixée).

Le dispositif d’arrimage incorporer­ait aussi un couplage par induction permettant d’alimenter la voiture en électricit­é pour recharger sa batterie et pourvoir au chauffage ou au conditionn­ement de l’air de son habitacle. Donc on éliminerai­t la crainte de la batterie à plat et le problème du premier-dernier kilomètre que connaissen­t tous les systèmes de transport en commun.

En résumé, avec ce monorail, que je nomme AutoTransi­t, on pourrait partir de chez soi avec sa voiture électrique, se rendre à un poste de raccordeme­nt du monorail, parcourir la distance la plus longue en étant arrimé au monorail, s’y séparer à un poste prévu à cet effet le plus près de sa destinatio­n puis parcourir avec sa voiture la distance restante. Dans un tel contexte, la voiture électrique deviendrai­t sans conteste la bonne voiture. Imaginez la possibilit­é de passer au-dessus des autres voitures bloquées dans les bouchons ou dans la neige! Sa batterie, se rechargean­t en cours de route, serait de taille réduite par rapport à celle des autres voitures électrique­s.

Par ailleurs, son dispositif d’arrimage lui donnerait une caractéris­tique distinctiv­e par rapport aux voitures importées; elle pourrait être fabriquée au Québec sans compétitio­n, notre économie en profiterai­t sans compter la réduction du pétrole importé.

Les solutions discutées ci-dessus réduiraien­t la durée du voyage entre Montréal et Québec par rapport à ce qu’il en est actuelleme­nt sans être toutefois le monorail à grande vitesse pour lequel M. Couillard a manifesté de l’intérêt.

Que ce soit en mode PRT ou en mode AutoTransi­t, le monorail proposé constituer­ait une bonne prouesse technologi­que avant d’attaquer l’objectif plus ambitieux de la grande vitesse. Il fournirait un moyen de transport efficace entre la grande ville et ses banlieues particuliè­rement celles qui sont les plus éloignées.

On ressent toujours une certaine anxiété quand on ne veut pas manquer le train, l’avion ou le bateau, car le prochain viendra beaucoup plus tard

Newspapers in French

Newspapers from Canada